Dimanche 8 janvier 2023 – Solennité de l’Epiphanie

Chers frères et sœurs,

Le dimanche de l’épiphanie, la crèche est enfin complète. Les derniers invités, au terme d’un interminable voyage, ont touché à leur but, et en regardant la scène, nous voyons ce que l’évangile vient de nous raconter : les mages « entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. »

Or, si nous écoutons précisément cette phrase, nous remarquons qu’il y a quelqu’un dont on ne parle pas. Les mages sont bien là, et l’enfant, et Marie… mais Joseph, où est-il donc passé ? Son absence est d’autant plus étonnante que tout le premier chapitre de saint Matthieu lui est consacré, soulignant le rôle indispensable qu’il a à jouer dans la venue au monde de l’enfant et dans son éducation. Je me prends à imaginer que, au moment où les mages ont frappé à la porte, il l’a ouverte de l’intérieur, et qu’il s’est blotti derrière cette porte, non pas pour faire une blague, mais pour être le plus discret possible : de sorte que ce que les mages, en entrant, ne voient que l’enfant au centre, avec sa Mère ; Joseph, pour laisser toute la place au mystère, s’éclipse donc. De ce fait, on pourrait imaginer que, le jour de l’épiphanie, on prenne l’habitude dans la crèche de mettre Joseph un peu à côté, caché dans l’embrasure la porte ou, à défaut, derrière une plante verte…

En ce jour, je ne peux pas ne pas penser à un autre Joseph, lui aussi très discret, ou, comme il l’a dit un jour, un « simple et humble ouvrier dans la vigne du Seigneur. » Lui aussi voulait être un juste ; lui aussi a vu tomber sur ses épaules, il y a presque dix-huit ans, une mission à laquelle il ne s’attendait pas ; lui aussi, il y a dix ans, s’est pour ainsi dire retiré derrière la porte, dans la contemplation silencieuse du mystère de Dieu fait homme. Ses funérailles, très simples, ont été célébrées jeudi à Rome. Il y a donc quelque chose de très singulier à fêter l’épiphanie huit jours seulement après la mort de Joseph Ratzinger, Benoît XVI.

Précisément, l’épiphanie elle-même a tenu une place toute particulière au cœur de son travail de théologien, et plus grande encore dans sa vie de Pape. Dans la scène de l’épiphanie, Jésus est au centre, avec Marie ; et Joseph introduit ces mystérieux mages d’Orient. On ignore s’ils étaient trois ou s’ils étaient rois ; mais on sait qu’ils étaient des savants, scrutant le ciel comme un grand livre qui ne demande qu’à être lu pour révéler ses richesses, un livre qui raconte l’ordre du cosmos et le sens de l’histoire. Plus encore, mieux que des savants, c’étaient des sages : car ils ne faisaient pas de leur science un but en soi, un totem, une idole ; ils voyaient plutôt en elle un chemin vers une réalité plus essentielle, plus universelle et plus précieuse : la Vérité.

En 2005, au moment de son élection, Benoît XVI s’était choisi pour devise Cooperatores veritatis, « Coopérateurs de la Vérité ». On ne le devine pas en français, mais en latin c’est plus clair : ce mot de ‘coopérateurs’ est au pluriel. Autrement dit, ce n’est pas seulement le Pape qui est coopérateur de la vérité, mais est coopérateur de la Vérité ; mais c’est tout homme, quelle que soit sa culture, sa langue ou sa foi, qui obéit à ce désir profondément inscrit dans sa conscience de chercher, d’honorer et de servir ce qui est vrai. Benoît XVI l’a dit à bien des reprises et de bien des manières : si la Vérité existe, alors des hommes du monde entier, par des chemins extrêmement différents et grâce à des étoiles de toutes sortes, peuvent la chercher, et converger vers elle ; ils peuvent dialoguer, s’émerveiller et contempler ensemble. Dans l’épiphanie, Joseph n’est pas le seul à faire preuve d’humilité, il y a aussi l’étoile : servante du voyage des mages, elle vient désigner la maison, puis, à son tour, elle s’éclipse. A la joie devant l’étoile succède l’adoration devant le Christ ; à l’amour des astres succède le désir de Dieu ; au grand livre du ciel succède la Parole en personne.

La plus belle célébration de l’épiphanie dans le pontificat de Benoît XVI a eu lieu, selon moi, le 12 septembre 2008. Ce jour-là, le Pape, au cours de son voyage apostolique en France, inaugurait à Paris le Collège des Bernardins restauré, devant sept cents personnalités de la culture, des croyants, des agnostiques, des athées – en quelque sorte, les mages du vingt-et-unième siècle. La motivation des moines qui, huit siècles auparavant, avaient construit ce lieu splendide, était simple : « Leur objectif était de chercher Dieu, quaerere Deum. Au milieu de la confusion de ces temps où rien ne semblait résister, les moines désiraient la chose la plus importante : s’appliquer à trouver ce qui a de la valeur et demeure toujours, trouver la Vie elle-même. Ils étaient à la recherche de Dieu. Des choses secondaires, ils voulaient passer aux réalités essentielles, à ce qui, seul, est vraiment important et sûr. On dit que leur être était tendu vers l’eschatologie. Mais cela ne doit pas être compris au sens chronologique du terme – comme s’ils vivaient les yeux tournés vers la fin du monde ou vers leur propre mort – mais au sens existentiel : derrière le provisoire, ils cherchaient le définitif. (…) Quaerere Deum – chercher Dieu et se laisser trouver par Lui : cela n’est pas moins nécessaire aujourd’hui que par le passé. »

Mieux que tous les habitants de Jérusalem, mieux qu’Hérode, les scribes et les grands-prêtres du Temple, les mages ont cherché Dieu et se sont laissés trouver par Lui. Partis à la rencontre d’un nouveau roi des Juifs, fidèle à leur étoile, obéissant à leur désir de vérité, ils ont trouvé bien plus. Avec. Eux, rendons grâces pour nos étoiles, pour saint Joseph et pour cet autre Joseph devenu Benoît XVI, pour tous ces grands discrets, brillants et humbles à la fois qui, dans notre vie, nous ont ouvert la porte de la foi. Au terme de notre propre chemin, puissions-nous contempler à notre tour cet Amour qui meut le soleil et les autres étoiles.

Amen.

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