La coulée d’air froid de ces derniers jours – phénomène paradoxalement engendré par le réchauffement global, et bien prévu par les modèles des climatologues – semble avoir gelé l’avancée du printemps. Le retour progressif de la douceur devrait provoquer une véritable explosion. Aussi anticipons quelque peu et tournons notre regard vers une espèce improprement appelée à sang froid : la Grenouille agile.
C’est avec la Grenouille rousse l’une des deux « grenouilles brunes » de nos régions, et vous voilà bien avancés. Les deux cousines sont difficiles à distinguer en main. Toutes deux sont de teinte générale ocre à brunâtre, avec une bande marron englobant l’œil et le tympan, en arrière de celui-ci ; ce critère suffit à la distinguer des Grenouilles vertes (la Grenouille dite verte ne l’étant pas toujours, loin s’en faut, mais elle présente toujours au moins des lignes de cette couleur). La Grenouille agile présente un museau plus pointu et un tympan plus gros, de la taille de l’œil. Mais sur notre ensemble paroissial, il y a plus simple : nous sommes à basse altitude, nous n’avons donc (normalement) que de l’Agile ; il faut monter en Beaujolais pour trouver sa rousse cousine.
Pour la trouver, rendez-vous vite au fond des vallons boisés, ou des prairies, là où subsistent encore quelques belles mares où nul n’a eu l’idée d’introduire de poissons. Mais après tout, jetez un œil au bassin au fond du jardin – et si ses bords sont verticaux comme une piscine, remédiez-y vite à l’aide de planchettes en plan incliné. Voici une mare : avec un peu de chance, vous entendrez ces chants aux airs de diesels glougloutants impossibles à confondre, ni avec l’appel sourd de la Grenouille rousse, ni avec les vociférations ricanantes de la Grenouille verte. Approchez doucement de la mare ; ça saute de partout devant votre pied ! Avec un peu de chance, vous arriverez à surprendre un adulte ou à le voir par transparence dans l’eau peu profonde (et qui sait, peut-être un Triton alpestre ou palmé à ses côtés). Toujours examinant l’eau, parmi les notonectes, ces punaises d’eau en forme de barque aux deux longues rames qui circulent sous la surface, vous tomberez sur des amas de bulles translucides portant en leur centre un gros point noir. Ces paquets flottants de 15 à 20 centimètres de large, dispersés çà et là dans la mare, sont les pontes des Grenouilles agiles. Elles comptent plus de mille œufs et donneront des têtards brun clair à brun foncé, mouchetés de petites taches dorées, qui entameront une existence précaire. Tritons et insectes aquatiques ne manqueront pas de réduire leur nombre et bien peu atteindront la taille de 40 à 50 mm requise avant l’ultime métamorphose…
Avec la Grenouille verte, le Crapaud commun, les Tritons alpestre et palmé, la Salamandre tachetée et l’Alyte accoucheur – qui pousse ses notes de flûte de Pan au crépuscule – sans oublier le très rare Sonneur à ventre jaune, notre ensemble paroissial accueille une étonnante diversité d’amphibiens aux portes de la grande ville. Leur survie dépend de la présence de points d’eau permanents peu profonds, aux berges en pente douce, non polluées, riches en flore et faune aquatique, mais aussi de bois feuillus tout proches. Les amphibiens adultes y passent l’essentiel de leur vie terrestre, se nourrissant d’invertébrés divers, hibernant sous quelque souche. Toutes ces espèces et leurs milieux sont protégés par la loi. Ce qui ne suffit pas, hélas, à enrayer leur déclin : les amphibiens font partie des animaux les plus menacés de la planète.