Qui dit printemps dit primevères. Qui dit primevère dit très souvent présence d’un petit bourdon d’un gros centimètre de long, au pelage hirsute beige à roux, à la longue trompe noire, qui enchaîne des sur-place au-dessus des fleurs et des vols éclairs jusqu’à la suivante. Son corps fusiforme, sa trompe, son comportement sont très faciles ç reconnaître, d’autant que l’espèce est franchement commune, même dans nos jardins.
… Un petit bourdon qui fait du sur-place ? Il y a quelque chose qui ne va pas ! Regardez les osmies dont nous avons parlé tantôt, les abeilles mellifères qui sortent en grand nombre, ou les bons gros bourdons terrestres noirs barrés de jaune et blanc : jamais ils ne font l’hélicoptère. Il y a un truc ! Truc qui se révèle si l’animal daigne se poser. Sa trompe presque aussi longue que lui reste dressée : elle est rigide. Ses ailes, transparentes à l’arrière, fumées à l’avant… et bien… il n’y en a que deux ! Le traître est démasqué : deux ailes au lieu de quatre, c’est un diptère. Le « bourdon » était une mouche !
Nombre de diptères sont des as du déguisement. En hyménoptère (abeilles, guêpes et bourdons) tout spécialement. À défaut de porter soi-même un dard, quoi de plus efficace pour détourner le prédateur que d’arborer la tenue d’un de ces spadassins ? Certains diptères ont choisi le look guêpe, ce sont les syrphes, ces « mini-guêpes » très communes qui, elles aussi, se reconnaissent à leur pratique du vol sur place. Il en est une qui a carrément choisi le calibre frelon ! Comment ne pas paniquer devant les 25 mm de l’imposante Volucelle zonée ? Pourtant, ce n’est encore qu’une mouche bien déguisée.
Le bombyle a donc choisi pour sa part un costume de petit bourdon. Il en a aussi le régime alimentaire. Les scientifiques ont étudié diverses espèces de bombyles et conclu que ce groupe avait évolué depuis des ancêtres suceurs comme les taons. Le Grand Bombyle de nos jardins présente l’un des cas d’évolution la plus aboutie vers ce nouveau régime nectarivore. Sa trompe est l’instrument parfait pour aller pomper le nectar tout au fond des corolles de fleurs. Longue et fine, elle peut être orientée, ce qui facilite l’exploration des fleurs les plus profondes et le pompage du nectar en vol stationnaire, y compris sur le côté des grappes de fleurs comme celles du Saule marsault. Enfin, comme les abeilles et les bourdons, sa toison ne manque pas de s’enduire de pollen, qui effectue ainsi un tour d’hélicoptère gratuit jusqu’à la fleur voisine : Bombylius major est un pollinisateur de premier ordre.
Crédit photo : spacebirdy(also known as geimfyglið (:> )=| made with Sternenlaus-spirit), CC BY-SA 3.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0, via Wikimedia Commons
Peut-être se fera-t-il ainsi pardonner les mœurs de sa larve… La femelle pond çà et là aux abords d’un nid d’abeilles sauvages (souvent d’andrènes). Sitôt éclose, la larve se rue vers le nid pour y mener une existence de parasite, boulottant les réserves mais aussi la progéniture de ses hôtes. Elle se nymphose dans ce même nid avant d’en émerger sous la forme d’un pacifique butineur à poils roux.
Le Grand Bombyle illustre à merveille les réseaux d’interaction qui font la vie. Pour survivre, il a besoin des fleurs, qui ont en retour besoin de ses services de pollinisateur. Il dépend aussi de la présence des abeilles que sa larve parasite, qui elles-mêmes entretiennent des liens semblables avec d’autres fleurs encore que celles que visite le Bombyle…
Interdépendances, liens patiemment tissés par l’évolution, adaptations, stratégies étonnantes, le bombyle, comme tant d’insectes de nos jardins, est une fenêtre ouverte sur ce qu’est réellement la Création. Ni fatras chaotique d’espèces, ni distinction binaire nuisibles-utiles, ni simple, ni figée, mais complexe, inventive, faite avant tout de relations plus que d’individus.