30 mai 2021. Dimanche de la Très Sainte Trinité

Chers frères et sœurs,

Dans mon enfance, j’ai souvent entendu répétée la maxime : « Un petit dessin vaut mieux qu’un long discours », et je l’ai faite mienne. Il y a quelques semaines, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que la formule que j’avais scrupuleusement apprise était inexacte ! La formule authentique – m’a-t-on assuré – est : « Un bon croquis vaut mieux qu’un long discours », et son auteur n’est autre que l’empereur Napoléon 1er, dont décidément on parle beaucoup cette année. Je ne sais pas précisément dans quelles circonstances il a prononcé cette phrase, mais nous pouvons aisément le deviner. A la veille d’une de ses grandes batailles, voici Napoléon sous sa tente, entouré de ses maréchaux, à qui il tâche d’expliquer sa géniale stratégie : « Murat, vous chargerez avec la cavalerie… Davout, vous attaquerez par le Sud… Soult, vous les prendrez à revers… » Puis, voyant que personne ne le comprend, il attrape une carte et un crayon, et trace en quelques lignes sur la carte les mouvements de son armée – et alors, tout devient plus clair. Bien sûr, les maréchaux comprennent bien que ce n’est là qu’un croquis : une représentation grossière, simplifiée, rapide, de la réalité ; mais ce croquis, s’il est bon, leur sera bien utile pour ne pas commettre de graves erreurs tactiques, pour remporter la victoire, et donc il les aidera à bien faire leur travail de maréchaux.

En célébrant aujourd’hui la fête de la Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, nous pouvons nous dire, comme Napoléon, qu’un bon croquis nous serait bien utile pour saisir le sens apparemment si complexe de ce mystère. Utile, et risqué à la fois : de même qu’un croquis militaire inexact peut envoyer un régiment à la mort, de même un croquis théologique inexact peut faire beaucoup de mal. Alors, par quelle analogie pourrions-nous parler de manière juste de la Trinité, de sorte que nous puissions bien faire notre travail de Chrétiens ?

Le mieux est peut-être de partir des images qui sont déjà là, sous nos yeux. Dans notre assemblée se trouvent donc Camille, Antoine et leur fille Adélaïde. Trois personnes qui forment une unique famille. Camille et Antoine, vous avez passé l’essentiel de votre vie en tant que célibataires, avec au début de votre vie étudiante l’expérience de ce que c’est que de vivre seul. Lorsque vous êtes devenus un couple, vous avez vécu une expérience nouvelle, celle d’être deux et de vivre l’un pour l’autre. Enfin, devenus parents, vous avez découvert ce que c’est que d’exister en étant donné aux deux autres. Votre identité s’est développée simultanément : chacun a fait de l’autre un époux, une épouse, et Adélaïde, à l’instant même où elle devenait votre enfant, a fait de vous des parents. A chaque étape, vous avez acquis une dimension nouvelle qui n’a pas altéré votre identité, mais qui au contraire l’a développée : époux et parents, vous êtes encore plus devenus vous-mêmes ! Certes, chaque état de vie a aussi ses risques : tout seul, on risque le narcissisme ; à deux, la fusion ; à trois, la rivalité. Mais je trouve que vous vous en sortez plutôt très bien ! 

Entendons-nous bien : évidemment, les images que je viens d’évoquer pêle-mêle sont imparfaites. Elles ne sont pas très théologiques, pas très savantes. Pourtant, elles tentent de traduire une expérience fondamentale et universelle, celle de l’amour vécu et découvert : l’amour de moi-même, puis l’amour de l’autre qui vient vers moi, puis l’amour de l’autre qui vient de nous. Avec la Trinité, c’est de cet ordre, à un détail près : quand vous aimez, vous faites une action. Dieu, lui, n’est pas distinct de son amour ; il n’aime pas, il EST amour, c’est son identité même. En somme, lui seul a réellement le droit de dire : « Je ne suis qu’amour ! » 

Vous imaginez donc la question suivante : « Seigneur, mais comment fais-tu pour avoir cette humanité ? » Car c’est bien cela qui est prodigieux : Dieu-Trinité, qui n’a pas besoin de nous pour exister, a eu une étonnante idée. Un de la Trinité, le Fils, a pris notre humanité et s’est fait l’un de nous ; en lui, la Trinité est venue à notre rencontre. Le Fils a vécu notre condition humaine, sans cesser toutefois d’être l’amour parfait. Et, à la fin de son chemin parmi nous, après sa résurrection, il nous a promis d’être avec nous à jamais, et de nous donner la capacité de devenir semblable à lui. Cela s’appelle le baptême. Et c’est pour cela qu’en ce dimanche où nous fêtons la Trinité, la meilleure image que l’évangile ait à nous offrir est le sacrement du baptême, signe du dessein de Dieu pour le monde : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

Puisqu’un petit croquis vaut mieux qu’un long discours, je vais bientôt me taire, et vous inviter à observer attentivement ce qu’il se passera dans quelques minutes, dans ces gestes et ces paroles par lesquels Adélaïde va être baptisée dans l’amour du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ce sera mieux qu’une image, puisque ce sera une réalité : par ce sacrement, précise Jésus, Adélaïde va devenir disciple de la Trinité. Le propre d’un disciple, c’est de se mettre à l’école d’un maître, de le suivre sur son chemin. Il faut donc du temps ! Ce temps long, c’est à vous qu’il est spécialement confié, vous ses parents, Camille et Antoine, et vous ses parrain et marraine, Théophane et Marion : un temps pour éveiller Adélaïde à la vie de la Trinité, non comme une réalité bizarre et étrangère, mais au contraire comme un amour qui existe déjà et qui agit au plus intime d’elle-même. 

Chers frères et sœurs, en fêtant la Trinité, nous ne célébrons pas une équation à mille inconnues dont la compréhension serait réservée à une poignée d’agrégés de maths, mais le don de la vie nouvelle que Dieu nous a déjà faite à notre baptême. Par ces petits croquis, évoquons et réveillons les sources trinitaires de notre baptême, redevenons disponibles au goût de l’amour qui nous permet de vivre comme Dieu, et de faire le don, le don de soi !

Amen. 

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