Chers frères et sœurs,
L’un des textes les plus célèbres de la Bible consiste en l’autobiographie d’une petite brebis. Elle va et vient, avec son troupeau, dans les collines de Judée, de pelouses vertes en chemins arides, sans connaître précisément ce que sera sa vie, mais avec une indéfectible conviction : avec un berger comme le sien, elle n’a aucune raison d’avoir peur. Et, sur la route, elle se répète : « Le Seigneur est mon berger, rien ne saurait me manquer ! »
Puisque c’est du psaume 22 (23) qu’il s’agit, psaume qui justement est le nôtre ce dimanche, je réalise qu’il est tellement connu que nous pouvons souvent en chanter le refrain par cœur, sans réfléchir à ce qu’il signifie. Or il nous pose une question sérieuse, fondamentale : en qui, en quelle autorité sommes-nous prêts à mettre notre confiance ? Quel chef sommes-nous prêts à suivre ? Dans la fable Les Grenouilles qui demandent un roi, Jean de la Fontaine met en scène un peuple de batraciens jamais contents de leur sort, qui rêvent d’être les sujets d’un chef idéal. Leur premier roi s’avère mou et indolent : ses sujets s’en lassent vite et le rejettent. Le second est une grue, et ce grand oiseau massacre les grenouilles, qui s’en plaignent. Conclusion logique : « Il devait vous suffire que votre premier roi fût débonnaire et doux ; de celui-ci contentez-vous, de peur d’en rencontrer un pire. »
Dans la Bible, le même rapport ambigu du peuple d’Israël à l’autorité se retrouve, et les chefs d’Israël ne sont jamais à la hauteur du mythe du chef idéal. Soit ils peinent à asseoir leur autorité, soit elle leur monte à la tête. Le chef trop faible par excellence, c’est Moïse : il est bègue, il n’a pas confiance en lui, les Israélites le regardent avec suspicion, et faute de le suivre le peuple se retrouve à errer pendant quarante ans dans le désert avant de trouver le chemin de la Terre Promise. Le chef abusif par excellence, c’est David : il est fort, il est beau, il devient le héros d’Israël en tuant le géant Goliath, et la couronne royale sui est donnée ; mais il ne mesure plus son pouvoir absolu en cédant à l’adultère puis au meurtre. La Bible ne nous invite pas à l’autogestion, mais à une relation ajustée, distanciée, vis-à-vis de nos rêves d’un leader charismatique, d’un chef génial et fascinant : avec l’autorité viennent aussi les abus d’autorité, que Jérémie dénonce avec vigueur, en jouant sur le verbe « s’occuper » : les mauvais bergers qui ne se sont pas occupés des brebis (en les servant et en prenant soin d’elles), le maître des brebis s’occupera d’eux (en leur faisant passer un sale quart d’heure) : quiconque reçoit une autorité a, un jour ou l’autre, des comptes à en rendre.
Enfin, il y a Jésus. Dans ce petit texte d’évangile, quelques éléments nous sont donnés pour apprécier son autorité. Jésus fait d’abord preuve d’un sens poussé de la délégation. Dimanche dernier, nous l’avions vu envoyer ses apôtres en mission, avec un équipement si modeste qu’ils seraient obligés de dépendre de ceux dont ils feraient la rencontre ; à présent, il les accueille à leur retour et il écoute le récit de leurs aventures. Puis il prend soin d’eux : à leur heureuse fatigue, il offre un temps de repos pour refaire leurs forces, conscient qu’une vie équilibrée alterne action et tranquillité. Devant la foule inattendue qui les poursuit, Jésus se montre un maître plein de compassion, qui mesure combien ces gens sont désorientés « comme des brebis sans berger », comme ceux qui manquent d’une autorité juste qui les soutiennent et qui n’abuse pas d’eux. Enfin, il paye de sa personne, malgré sa propre fatigue, tout en veillant à ce que ses apôtres, pendant ce temps, aient bien droit au repos nécessaire. Il s’adapte à ces deux groupes que sont ses apôtres et les foules en leur donnant à chacun ce qu’il leur faut, les rassemblant déjà dans une même bonté, dans une même paix : « Il est venu annoncer la bonne nouvelle de la paix, la paix pour vous qui étiez loin, la paix pour ceux qui étaient proches. »
Tout cela, c’est la première partie du refrain : « Le Seigneur est mon berger. » Surtout, n’oublions pas que la première partie permet de chanter la seconde : « Rien ne saurait me manquer. » Les apôtres partis en mission les mains vides se sont rendus compte que, chemin faisant, ils avaient reçu le nécessaire, et sans doute bien plus. C’est toujours beau de parler avec des pèlerins à la fin de leur route de tout ce que la providence leur a donnée et qu’ils n’auraient jamais imaginé. Aussi, quand des situations angoissantes se présentent, violentes, brutales, inattendues, qui provoquent peur, incompréhension et désarroi, ce petit refrain prend tout son sens : « Le Seigneur est mon berger, rien ne saurait me manquer. » Ce n’est pas un mantra, une phrase à se répéter à soi-même que tout va bien alors que tout va mal, c’est une prière, adressée au seul chef qui ne déçoive jamais. Qu’elle nous accompagne dans tous les temps où la division nous menace. Et nous pouvons l’enraciner dans notre cœur comme une ancre invincible, comme, dans son carmel d’Avila, sainte Thérèse de Jésus l’avait fait par ces mots :
Que rien ne te trouble, ô mon âme ! Que rien ne t’épouvante, ô mon âme !
Dieu seul suffit, Dieu seul suffit.
Dieu ne change pas, ô mon âme ! La patience obtient tout, ô mon âme !
Dieu seul suffit, Dieu seul suffit.
Qui possède Dieu, ô mon âme, ne manque de rien, ô mon âme !
Dieu seul suffit, Dieu seul suffit.