Chers frères et sœurs,
Cet après-midi-là, je me souviens, j’étais sorti faire quelques courses dans un magasin proche de la Place Bellecour. Au fond du magasin, il y avait des téléviseurs et tous, curieusement, les clients les regardaient : il y avait, apparemment, un film d’action, qui retenait l’attention de tout le monde. Après quelques instants, je compris que ce n’était pas un film, mais les images, filmées en direct, de ce qui se passait au même instant à New York. C’était le mardi 11 septembre 2001.Je demande pardon aux plus jeunes, qui sont les plus nombreux dans cette église, de leur parler très littéralement d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Mais les plus âgés, sans doute, se rappellent précisément ce qu’ils faisaient et où ils se trouvaient cet après-midi-là. Il y a vingt ans et un jour, cet événement a bouleversé notre fausse tranquillité et notre confort factice. Nous sommes tombés de nos certitudes. Nous nous sommes demandés : « Pourquoi tant de violence ? » Cette question, c’est aussi celle qui traverse l’esprit de saint Pierre, dans l’évangile. Il était pourtant dans une grande joie : ce Jésus, son ami, celui avec qui il marche depuis deux ans sur tous les chemins, et qui est si formidable, venait de lui laisser deviner qui il était : ce serait donc lui le Christ, le Sauveur qu’attend le peuple d’Israël depuis si longtemps ? Or voilà qu’aussitôt Jésus vient casser la joie de Pierre : il lui dit qu’il va être rejeté, arrêté et tué. Il va souffrir. Et Pierre n’en revient pas : mais non ! Ce n’est pas possible ! Pourquoi tant de violence ?Il y a vingt ans, je me souviens, devant cette violence, beaucoup de monde avait naturellement cédé à la panique. On avait peur de tout : sortir dans la rue, aller au travail, prendre sa voiture et, bien sûr, prendre l’avion. Dans une famille, entre amis, on a naturellement envie que celui que l’on aime aille bien. Mais aimer quelqu’un pour de bon, c’est aussi accepter qu’il prenne des risques, et même, osons le dire, c’est accepter qu’il souffre. Il y a une manière de vouloir protéger ceux que l’on aime et qui, en, réalité, les étouffe. C’est le piège dans lequel tombe Pierre : il se met à réprimander Jésus et à lui dire qu’il va éviter la souffrance : Je te protégerai, et si besoin je t’enfermerai pour que personne ne te fasse du mal ! Mais Jésus n’est pas venu pour être enfermé. Jésus est sorti d’auprès de Dieu pour se risquer à notre rencontre, pour s’aventurer vers nous, quel que soit le prix à payer. Pour comprendre ce que Jésus veut nous dire, il faut partir de la fin. Car Pierre n’a pas écouté Jésus jusqu’à la fin. Il a été tellement choqué d’entendre les premiers mots de Jésus qu’il n’a pas écouté les derniers : « trois jours après, il ressuscite. » Or ce sont ces mots qui donnent tout leur sens au reste. Le Christ doit souffrir, être rejeté, être tué, pour ressusciter. La fin de l’évangile donne sa lumière à tout ce qui précède. A la fin de l’évangile, la résurrection est la clef qui explique la Passion : pourquoi toute cette violence ? Pour que Jésus nous montre ce que c’est qu’un vrai chef. Un vrai chef n’évite pas la difficulté qu’il demande à ses subordonnés. Un vrai chef ne demeure pas avachi sur des coussins, faisant ce qu’il lui chante et éliminant ceux qui le dérange. Il ne commet pas la violence. Au contraire, il est tellement ennemi de la violence qu’il se laisse faire. Un vrai chef, dit Jésus à Pierre, ce n’est pas celui qui prend la vie des autres, mais c’est celui qui leur donne sa vie. Comme le dit saint Jacques dans la seconde lecture, c’est par notre manière de vivre que nous révélons quelle est notre foi. Le scoutisme est une excellente école pour apprendre à donner sa vie. D’abord parce que l’on apprend un peu à souffrir : par l’effort, sur les chemins, dans les forêts, par les nuits courtes et les habits qui puent le feu de bois, les scouts mettent leurs pas dans ceux de la première patrouille, celle des apôtres que Jésus conduit sur les chemins de Judée et de Galilée, loin du confort de leurs maisons. Jésus, leur chef, a sans cesse marché en tête, prenant l’initiative pour mériter d’être suivi : « C’est un exemple que je vous ai donné, afin que vous fassiez de même, à votre tour. » En patrouille, la souffrance relative prend tout son sens en développant les liens de fraternité mutuels et en stimulant la capacité de chacun à devenir chef, c’est-à-dire à offrir sa vie pour les autres. Si le scoutisme est une école pour apprendre un peu à souffrir, c’est surtout une des meilleures écoles aussi pour apprendre à ressusciter. Être scout, c’est aussi se demander « Qui suis-je ? », et laisser la vie de la patrouille et de la troupe nous donner la réponse. Dans les découvertes vécues ensemble, dans l’amitié qui s’est nouée, dans la peur qui a été vaincue, chacun découvre un peu mieux qui il est vraiment, et chacun revient du camp un peu transformé, un peu transfiguré… un peu ressuscité. Au bout du risque, il y a la joie de découvrir que tout ce que nous avons donné a été multiplié, et cette découverte est un des meilleurs remèdes contre la peur qui existe. A tous, je souhaite une très belle année de scoutisme, une année qui vous révèle à vous-même, une année qui commence en regardant vers la fin : en route vers la résurrection !Amen.