Dimanche 2 août 2020-Dix-huitième Dimanche du Temps Ordinaire

Chers frères et sœurs,

J’avais prévu de vous faire une autre homélie, et voilà qu’hier soir, après le mariage que j’avais célébré, je me suis retrouvé à discuter avec trois personnes, deux parisiens et leur amie, une Danoise. Et, comme à chaque fois où je rencontre un habitant du Danemark, je n’ai pas pu m’empêcher de parler avec elle de mon film préféré, qui se passe précisément dans la région du Danemark où cette dame habite, le Jutland, la pointe Nord du pays, battue par les vents et la mer de tous côtés. Ce film, c’est Le Festin de Babette, un film de Gabriel Axel, réalisé en 1987, à partir d’une nouvelle de l’écrivain Karen Blixen. Le Festin de Babette raconte la rencontre improbable, à la fin du XIXème siècle, entre deux sœurs âgées, austères protestantes dans un petit village du Jutland, et Babette, une Française réfugiée chez elles. Pendant leur vie, ces deux sœurs ont mené une conduite très droite, assez austère aussi, marquées par les privations ; leur foi est teintée de peur : aurons-nous vécu assez justement pour entrer un jour au ciel ? Or, un jour, Babette gagne à la loterie une grosse somme d’argent et décide, par gratitude, d’offrir un repas français à la petite communauté villageoise. D’abord réticentes, les sœurs acceptent ; du bout des lèvres, elles goûtent le repas, et petit à petit, les plats succulents, les vins délicieux font leur effet : les membres de ce petit groupe de protestants rigoristes découvrent que les privations ne sont pas le seul chemin vers Dieu ; et que la joie partagée autour d’une même table, autour d’un beau repas, dit quelque chose de la grandeur et de l’amour de Dieu. A la fin du repas, un général en retraite, jadis l’amoureux transi d’une des deux sœurs, prend la parole et fait ce discours : « L’homme, dans sa faiblesse, se croit obligé de faire des choix, et il tremble à l’idée de prendre tant de risques. Mais vient le moment où enfin nos yeux s’ouvrent, et où nous réalisons que la grâce est infinie. Il suffit de l’attendre avec patience, et de la recevoir avec gratitude. La grâce n’impose aucune condition. Et voilà : tout ce que nous avons choisi nous est donné, et tous ce que nous avons rejeté, cela aussi nous est donné. Oui ; même ce que nous avons refusé nous est redonné. »Le Festin de Babette éclaire, je crois, le festin dont il est question dans l’évangile de ce jour, même si ce festin n’est fait que de pains et de poissons. Dans l’évangile comme dans ce film magnifique, il est question de la grâce de Dieu, du fait que le propre de Dieu, c’est de donner, de se donner, de surabonder. Dans aucun des textes de ce dimanche, la grâce de Dieu n’est présentée comme une récompense. Elle est gratuite – d’où son nom. Nous avons facilement la tentation de marchander avec Dieu, en espérant qu’il nous donnera plus si nous négocions bien. C’est la tentation des deux sœurs dans le film : pour arriver au paradis, il faut le mériter, accumuler des points, se tenir à carreau. La vie chrétienne est alors moins vécue par amour des autres que par crainte de ne pas acheter son éternité. Babette, en face, propose quelque chose qui semble dangereux : elle propose aux villageois de se laisser aller à la grâce, de se laisser faire par la surabondance du repas qui devient un festin, déraisonnable, excessif, immérité, enivrant, et gratuit. Dans le vocabulaire catholique, le mot de transsubstantiation désigne le changement du pain et du vin, au cours de la prière eucharistique, qui deviennent la substance du Corps et du Sang du Christ. Or, Le Festin de Babette est le récit d’une transsubstantiation, de la transformation en profondeur d’un petit groupe de villageois fatigués par l’âge et l’ascèse et qui découvrent une joie dont ils n’avaient pas idée, et qui les bouleverse. Babette est en cuisine, discrètement, et elle laisse la magie opérer dans la salle à manger voisine. L’évangile raconte lui aussi la transsubstantiation des disciples : eux qui rêvaient que cette foule sur laquelle le soir tombe s’en aille et les laisse tranquilles, ils découvrent qu’à partir de leur propre petit casse-croûte, ils peuvent nourrir eux-mêmes tout le monde, et qu’il en reste encore, un panier chacun. Le Christ rompt le pain, discrètement, mais c’est eux qui ont la joie de le transmettre à la foule. Le récit de la multiplication des pains annonce et prépare la transsubstantiation par excellence, le grand repas de la Cène et le sacrifice du Christ, nouvel Agneau pascal, tué le Vendredi Saint, ressuscité et source de joie au matin de Pâques. Dans ce miracle comme dans les paraboles du Royaume que nous avons entendues ces trois derniers dimanches, Dieu révèle comment, dans les cuisines et les coulisses du monde, il agit et œuvre à notre transformation. Découvrir cela est la source d’une joie incomparable et bouleversante. Comme le dit le général, à la fin de son discours, citant le psaume 84 : « L’amour et la vérité se sont rencontrés ; la justice et la joie vont s’embrasser. » Amen.

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