Chers frères et sœurs,
Nous célébrons cette année la Pentecôte sous l’orage. A Lyon, nous avons été plutôt épargnés, mais de terribles intempéries font la une de l’actualité, du plus original – les douze mille louveteaux et jeannettes hébergés pendant le déluge dans le château de Chambord – jusqu’au plus tragique – les récoltes ravagées dans bien des régions. Quand l’orage gronde, vous le savez, c’est une très mauvaise idée que de se protéger sous un parapluie à pointe métallique, idéal pour attirer la foudre et ne laisser de vous qu’un petit tas de cendres fumantes. En revanche, si cette même pointe de métal, au plus haut du clocher local, est reliée directement à la terre, elle concentrera sur elle la foudre, protégeant ainsi l’espace et les personnes tout autour. C’est le principe du paratonnerre, inventé en 1752 par Benjamin Franklin.
Para-tonnerre, « qui protège du tonnerre ». Para-pluie, « qui protège de la pluie », et cætera. Il est dommage que la traduction de l’évangile de saint Jean nous présente l’Esprit-Saint comme « l’autre défenseur », et non pas, selon la lettre du texte, comme « l’autre Paraclet ». Certes, le terme est plus inhabituel, mais il est riche de sens. Le Para-clet, c’est donc, littéralement, « Celui qui nous protège »… mais de quoi, au juste ? Le suffixe « clet » vient du verbe grec kaléo, « appeler ». Le Paraclet, mot inventé par saint Jérôme dans sa traduction en latin de l’évangile, au début du Vème siècle, c’est donc « Celui qui nous protège quand on l’appelle. » Et s’il est « l’autre Paraclet », c’est que Jésus était le premier. Le point commun entre Jésus-Christ et l’Esprit-Saint, en dépit de tout ce qui les différencie l’un de l’autre, c’est que le Père les envoie à notre secours, si nous le désirons. Ils sont un don de vie qui se propose, sans jamais s’imposer.
Pour nous décrire le Paraclet, saint Luc, au début des Actes des Apôtres, en fait précisément un paratonnerre. Après l’Ascension de Jésus, les apôtres s’étaient à leur habitude rassemblés dans la « chambre haute » du Cénacle, à Jérusalem : un lieu familier, rassurant, aux portes solides et à la discrétion garantie. Là au moins, ils seraient à l’abri des dangers et de la violence. Une vraie cage de Faraday ! Or, l’Esprit-Saint pénètre dans la pièce comme une boule de foudre, semblable à celle qui, dans les Sept boules de cristal, envoie tourbillonner Tryphon Tournesol au milieu de la maison du Professeur Bergamotte. Vous me direz : c’est donc un paratonnerre qui ne marche pas. Au lieu de les protéger de la foudre, il l’a attirée sur eux ! Et moi je vous répondrai : précisément, c’est un paratonnerre qui marche : leur prière, « d’un même cœur », a joué le rôle de la tige métallique et a attiré la foudre de l’Esprit, et la terre jusqu’où elle est allée, c’est leur cœur, cette « bonne terre » pour la semence de la Parole de Dieu. Un parfait paratonnerre ! Ainsi, les apôtres n’en sortent pas calcinés, mais transformés par ce Paraclet qui leur donne une vie et une langue nouvelles.
Alors, si le Paraclet ne nous protège pas du coup de foudre spirituel, de quoi nous protège-t-il ? Peut-être est-ce de l’amnésie et de l’ingratitude. La semaine dernière, l’évangile que la liturgie nous donnait était celui de la prière de Jésus, prière a priori compliquée, emberlificotée, redondante. On m’a demandé comment saint Jean avait pu la retenir si exactement, de mémoire, pendant quarante ans, avant de la coucher sur le papier, tandis que nous avons toutes les peines du monde à nous la rappeler juste après l’avoir entendue ? Nous touchons là à ce que l’Église appelle l’Inspiration des Écritures : l’idée selon laquelle les textes de la Bible ont pour auteur à la fois les écrivains humains qui les ont rédigés, avec leur style et leur génie propres, et Dieu en personne, l’Esprit-Saint.
Affirmer cela, c’est marcher sur une ligne de crête. L’inspiration des Écritures ne signifie pas que les auteurs sacrés ont été des marionnettes en transe, écrivant sous la dictée de Dieu. Et cela ne veut pas non plus dire, à l’inverse, qu’ils ont prié un petit coup et décidé ensuite que Dieu validait leurs œuvres. Le Paraclet agit pour nous, avec nous : il nous protège si nous l’appelons. Il nous protège de l’oubli, de la réécriture de l’histoire à notre profit, de l’infidélité au Christ : « le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit… »
Chers frères et sœurs, l’évangile de saint Jean est à mon avis le meilleur témoignage de ce Paraclet qu’il a reçu à la Pentecôte, tout jeune homme, dans la chambre haute, avec les autres apôtres. De même que les paroles de grâce qui sont sorties de sa bouche ce jour-là ne l’ont pas empêchées de devenir lui-même, de même le texte lumineux qu’il a écrit, devenu vieux, a été le fruit de sa longue fréquentation de l’Esprit de vérité. Un coup de foudre qui dure toute une vie, c’est possible ! Que cette Pentecôte sous l’orage nous donne le désir d’appeler le Paraclet et de lui demander de vivre – si j’ose dire – une vie du tonnerre de Dieu,