10 septembre 2023 – Vingt-Troisième Dimanche du Temps Ordinaire10 septembre 2023 –

Chers frères et sœurs,

Chaque dimanche, l’évangile nous est livré en pièces détachées, comme les éléments épars d’un meuble Ikéa. Pour saisir le sens du court texte d’évangile dominical, il faut tâcher de le reconnecter à celui qui le précède. Ici, au chapitre 18 de l’évangile selon saint Matthieu, Jésus vient de raconter à ses disciples l’histoire singulière d’un berger, chargé de veiller sur cent brebis, et qui en perd une. Dans ces régions où la montagne est infestée par les loups, il serait raisonnable de faire le deuil de cette brebis distraite, perdue pour de bon, tant pis pour elle ! Mais voilà : ce berger est têtu, il ne s’avoue pas facilement vaincu. Laissant les quatre-vingt-dix-neuf autres brebis au bercail, il part seul à la recherche de la centième, et il ne s’arrêtera pas tant qu’il ne l’aura pas retrouvée. J’imagine les disciples un peu circonspects devant cette belle histoire, pas très réaliste. Qui perdrait son temps pour un centième de son troupeau, au péril de sa vie ? Aussi, Jésus ajoute-t-il à cette parabole un commentaire concret sur la manière dont elle se traduit dans la vie de ses disciples, et c’est l’évangile que nous venons d’entendre.

Ainsi, de nombreux siècles avant l’apparition du droit canonique, Jésus avait-il déjà fourni à ses disciples une méthode précise, graduelle et pragmatique pour le règlement des conflits ; et la concomitance avec la parabole de la brebis perdue et retrouvée souligne que cette méthode a un objectif clair, celui des retrouvailles entre les frères qui se sont séparés. Que des péchés arrivent dans l’Église, c’est inévitable ; mais ce n’est pas une raison pour ne pas tout faire pour la réconciliation mutuelle. Tant que l’Église n’y est pas parvenue, elle doit recommencer, encore et encore : elle ne peut pas se résoudre, se résigner, à la division des Chrétiens.

Si la première tentative de réconciliation entre les frères est sans succès, Jésus invite son disciple à revenir avec « une ou deux personnes, afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins. » Cette histoire de témoins qui entourent les deux interlocuteurs évoque irrésistiblement en moi l’image classique des duels en Occident : un gentilhomme en offense un autre ; celui-ci, d’un geste du gant, demande réparation ; les témoins de chaque adversaire se rencontrent pour régler les modalités du combat ; et, au petit matin, sur un pré baigné de brume, les duellistes s’affrontent au pistolet ou à l’épée, réglant en quelques instants le différent, parfois au prix d’une légère blessure, parfois par la mort d’un de l’un des deux… A cette idée, je me suis dit que j’avais trop regardé Barry Lyndon, ou trop lu Alexandre Dumas. Je me suis dit que j’aurais des problèmes si je faisais la promotion du duel dans ma paroisse, et que j’aurais rapidement des plaintes émanant des familles des paroissiens envoyés à l’hôpital, ou au cimetière, pour avoir suivi à la lettre mes conseils ! Et pourtant, je crois que la pratique du duel a été bel et bien une mise en œuvre, certes maladroite, voire corrompue, de cet évangile. Au nom d’une certaine noblesse – de sang ou de valeurs – on estimait juste de ne pas laisser un conflit sans solution ; et le duel, selon des règles bien précises et devant témoins, permettait que le différent ne dégénère pas en vendetta, interminable, en violence incontrôlable. Ce n’était au fond pas si mal ! Mais la corruption de ce système est venue de ce que l’honneur a pris le pas sur le pardon : le duel avait perdu de vue son but, celui de permettre la réconciliation.

A l’ère du duel a succédé l’ère de la tolérance, dans laquelle nous vivons. Je ne suis pas sûr que l’on y ait tellement gagné. On nous présente la tolérance comme la source de la paix universelle : dans cette logique, il n’y a plus ni péché, ni conflit, tout doit être neutre et plat pour sauver la coexistence. Pourtant, la nature humaine est toujours la même, et si au nom de la tolérance le différent ne peut pas être exprimé posément, avec méthode, alors il ne sera pas non plus résolu, et il reviendra tôt ou tard avec une violence d’autant plus grande. Jésus ne prône ni le duel ni la tolérance, mais la réconciliation, c’est-à-dire l’amour vécu dans la vérité, qui est « le plein accomplissement de la loi. » Et, il le souligne, la réconciliation de deux frères est une affaire qui concerne et engage la totalité de l’Église. Au cœur de notre vocation baptismale, il y a l’appel à être les témoins les uns des autres.

À plusieurs reprises, Jésus souligne l’importance de se retrouver à « deux ou trois, en son nom », que ce soit pour un conflit à résoudre, ou pour une demande à formuler. Prier avec l’assemblée paroissiale à la messe du dimanche, c’est assez facile : le rite est bien connu, les chants nous portent, et l’on peut faire semblant… Prier tout seul dans sa chambre est aussi sans danger : personne ne nous regarde, on peut laisser le cœur parler au cœur de Dieu, et là aussi, on peut faire semblant. Mais prier à deux ou trois, c’est bien plus exigeant : on ne peut plus faire semblant, jouer la comédie. Prier à deux ou trois, cela peut faire peur, jusqu’au moment où l’on réalise que celui qui est à côté de nous ne veut pas nous juger, mais nous soutenir. Alors seulement la prière en petit comité, à deux ou trois, peut devenir un temps de grâce et de joie, et la source de bien des réconciliations. Chers frères et sœurs, voilà un beau défi pour cette année nouvelle : oser prier avec votre mari, votre femme, votre fiancé, votre colocataire, votre vieil ami, votre frère, votre sœur. Un vrai duel d’amour, où vous êtes témoins l’un pour l’autre, avec le Christ pour arbitre !

Amen.

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