23 juin 2024 – Douzième Dimanche du Temps Ordinaire

Chers frères et sœurs,

« Le tout, c’est pas d’y faire, c’est d’y penser ;

Mais le difficile, c’est pas d’y penser, c’est d’y faire ! »

Une fois de plus, ce proverbe de la Plaisante Sagesse Lyonnaise se révèle très pertinent. Une chose est de penser à la vie, une autre chose est de vivre ; une chose est de parler de Dieu, une autre, de le rencontrer. Vient un jour où il faut se jeter à l’eau : passer de la théorie à la pratique, de la rive des idées à l’autre rive. Jésus, au début de cet évangile, se trouve précisément au bord de la Mer de Galilée, où s’est rassemblée une foule nombreuse. Faute d’estrade, il s’est assis dans une barque, et, là, à quelques mètres du rivage, il a passé la journée à enseigner, exclusivement – précise saint Marc – sous la forme de paraboles.

Pardonnez-moi si je me répète, mais le fait de désigner ces petites histoires sous le nom de paraboles est une idée géniale. La parabole, en géométrie, c’est cette courbe en forme de U que décrit un objet lancé vers le ciel, puis qui retombe au sol. Je me rappelle, il y a quelques années, un camp au cours duquel les scouts avaient construit un trébuchet, la version médiévale de la catapulte, plus stable et plus précis, capable d’envoyer un projectile à une longue distance, pile dans la cible. Eh bien, la parabole est un trébuchet spirituel : elle propulse une petite histoire sur l’auditeur qui veut bien écouter et se laisser surprendre. Puis c’est l’auditeur lui-même que la parabole catapulte au cœur du mystère de Dieu présent au milieu du monde. Ce que le semeur fait en miniature quand il jette le grain, ce que le trébuchet fait à plus grande échelle avec ses boulets de pierre ou de métal, Jésus le fait d’une manière à la fois plus forte et plus subtile au moyen de ses paraboles. Ces courtes histoires donnent à penser, à « y penser », ce qui est donc, déjà, le tout.

Reste le difficile, qui est « d’y faire ». C’est pour cela qu’immédiatement après avoir parlé en parabole, Jésus passe aux travaux pratiques : il fait entrer ses disciples dans une parabole grandeur nature, en les propulsant sur les eaux incertaines de la Mer de Galilée, à la tombée du soir. Et, après avoir déclenché la traversée, Jésus se laisse faire : tandis que la petite flottille s’élance sur les eaux, lui se confie aux marins, au point de s’endormir, à la poupe, la tête sur un coussin. Il constate bientôt que la confiance n’est pas complètement réciproque ; au point que la sérénité de Jésus quand souffle la tempête est prise par ses disciples pour un manque d’empathie, une preuve de mépris à l’égard de leur angoisse : « Nous sommes perdus : cela ne te fait rien ? » Jésus sait bien que les paraboles mettent du temps à passer de la tête au cœur. Il sait aussi que, malgré le stress des disciples, la petite graine de la foi a déjà commencé à pousser, sans qu’ils s’en soient rendus compte.

Aussi, lorsque Jésus leur dit : « N’avez-vous pas encore la foi ? » je crois qu’il ne s’agit pas là d’une réprimande, mais plutôt d’un encouragement. En somme, sa question pourrait signifier : « Êtes-vous bien sûr que vous n’avez pas déjà un peu de foi ? Regardez mieux… Elle est toute petite, mais elle est là. » Prêcher à la suite de Jésus, c’est essayer de n’être ni le démagogue qui bénit n’importe quoi, ni le triste sire qui ne sait que se plaindre. Prêcher à sa suite, c’est inviter à se laisser saisir par son amour, comme dit saint Paul, et qui peut nous donner, si nous le voulons bien, la même autorité que lui sur les vagues du mal et de la mort. Dans cette église Saint-Blaise, il y a deux siècles, le jeune Abbé Jean-Marie Vianney, vicaire de 1815 à 1818, et son curé, l’Abbé Charles Balley, ont eux-mêmes prêché cette invitation à la foi. Ils savaient de quoi ils parlaient : pour ces deux hommes sortis par miracle sains et saufs des tempêtes de la Révolution, de la Terreur et des guerres napoléoniennes, la foi était quelque chose de très concret : un tout petit rien, invisible et portatif, mais qui changeait absolument tout.

Peut-être, depuis le début de cette messe, vous demandez-vous pourquoi, au centre de la feuille de chant, se trouve reproduit un tableau de William Turner, Le Ville d’Utrecht prenant la mer. Outre les bateaux que l’on y voit, j’ai choisi cette peinture en raison d’une petite anecdote. En 1832, William Turner exposait cette toile, qu’il venait de finir, dans une galerie londonienne, en même temps que d’autres artistes. Parmi eux, il y avait le grand peintre John Constable, qui présentait un grand tableau, splendide, plein de couleurs vives et brillantes. Celui de Turner, en revanche, avec ses bleus et ses gris pâles, manquait un peu de vie. Le vernissage allait commencer dans quelques minutes, et Turner, anxieux, tournait en rond, sa palette et son pinceau à la main. Au dernier moment, il se saisit d’un escabeau, grimpe dessus et, en un instant, il ajoute en plein milieu de la mer une toute petite bouée rouge, qui soudain transforme toute la toile par le contraste inattendu des couleurs. Le procrastinateur invétéré que je suis, incapable d’écrire ses homélies autrement que dans l’urgence, se reconnaît assez bien dans ce geste de Turner dont la bonne idée vient in extremis, au moment de la dernière retouche. Mais, plus encore, cette bouée attire les regards : elle est rouge afin d’être visible pour l’homme à la mer à qui elle est jetée, et pour le bateau qui doit ne plus la perdre de vue… et pour le visiteur de la galerie. Minuscule, elle répond pourtant au cri de détresse : « Nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » Au cœur de la tempête, ce tout petit point rouge sang suffit pour sauver la vie, pour faire advenir un monde nouveau.

Chers frères et sœurs, après tant de traversées dans la même barque, pendant dix ans, et par tous les temps, il me faut partir vers une autre rive, et laisser votre barque continuer sans moi. Dans l’évangile, vous aurez noté que le nom du capitaine du bateau n’est pas mentionné, mais on sait que Jésus, est là, juste à côté, à deux pas du gouvernail. Ô capitaine, mon capitaine : lui seul mène le navire, pas d’inquiétude à se faire. Au moment de débarquer, j’emporte avec moi le souvenir de nos croisières, et la gratitude pour le soutien mutuel dans les tempêtes, les petites comme les grandes. Pendant ces dix ans, j’ai essayé d’être un peintre de petites bouées rouges, c’est-à-dire d’exprimer l’originalité, la pertinence et la force de la foi chrétienne dans ce monde beau et difficile, dans cette société battue par les grandes eaux, qui a tant d’attentes et qui suffoque par manque d’espérance : « Ce que l’âme est dans le corps, les Chrétiens le sont dans le monde. »

J’ai été parmi vous un prêtre heureux et un curé heureux ; je me souviens que je suis devenu prêtre et curé parce que, il y a bien longtemps, j’ai rencontré des prêtres heureux et des curés heureux ; et je prie aujourd’hui, comme je le fais silencieusement depuis dix ans, pour tous les futurs prêtres heureux et tous les futurs curés heureux qui sont dans cette assemblée – qu’ils le sachent ou non ! Si, comme saint Jean-Marie Vianney il y a deux siècles, vous ressentez cet appel à consacrer votre vie à peindre de petites bouées rouges sur la toile de la vie de vos contemporains, je ne peux que vous y encourager : quelle passionnante aventure !

Allons. Il faut conclure cette homélie, bien trop longue – que voulez-vous, les marins ont ce besoin curieux de faire des phrases. Au moment de monter dans ma parabole, dans mon trébuchet, dans ma barque, dans ma bouée rouge, en direction de la rive croixroussienne, il ne me reste plus qu’à dire :

Amen.

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