Saint Matthieu nous donne de méditer sur le jugement dernier. Pour l’évoquer, il nous projette au Soir de la Création, à la fin des temps ; peut-être, dans des millénaires ou dans plusieurs siècles, dans quelques années ou dans quelques semaines, dans les jours prochains ou dans une heure. Si cet ultime instant solennel devait arriver dans la minute, pourrai-je terminer cette homélie ?
Grâce au talent d’écrivain de Saint Matthieu, nous y sommes : maintenant.
Maintenant, nous voilà aux portes de l’éternité. Deux portes : l’étroite, celle du Royaume préparé pour les justes depuis la fondation du monde, et loin, là-bas, une autre porte derrière laquelle brûle le feu éternel préparé pour le diable et ses anges.
À cet instant ténu, avons-nous encore la possibilité de nous convertir ? Le pouvoir de décider est-il encore dans nos mains ?
Je suis devant le Roi, avec vous, avec tous les hommes : les sept milliards et demi d’aujourd’hui, auxquels il faut ajouter les milliards de ceux qui nous ont précédé depuis les débuts de l’humanité. Au dire des spécialistes, nous serions quatre-vingt milliards. Et si nous n’étions pas là, maintenant, il faudrait ajouter tous ceux qui seraient venus après nous.
Nous sommes là, toute l’humanité en passe d’être rassemblée : les hommes de l’âge de pierre. Les derniers nomades et les premiers sédentaires. Nos ancêtres qui observaient les étoiles pour comprendre le monde. Les philosophes de l’Antiquité, les conquérants, les guerriers et les explorateurs. Les enfants d’Israël, descendants des Patriarches, leurs rois et leurs prophètes. Leurs voisins, tour à tour alliés ou ennemis au grés des péripéties de l’Ancienne Alliance. Les contemporains du Christ durant les trente-trois brèves années de sa vie terrestre. Ceux qui l’ont connu sur les routes de Galilée, ceux qui l’ont écouté et ceux qui l’ont rejeté. Ceux du reste du monde qui n’ont jamais entendu parler de lui. Les hommes et les femmes qui vécurent pendant le temps de son Eglise, dont nous faisons partie. Ceux qui, plus de deux millénaires durant, n’ont jamais entendu parler de lui, ceux qui n’ont pas voulu le connaitre, et ceux qui sont entrés dans sa Nouvelle Alliance, beaucoup par le bain du Baptême et d’autres sans même le savoir.
Tous, nous sommes là : la Vierge Marie, déjà corps et âme dans la Joie Glorieuse du Royaume, observe – la porte étant restée entrouverte pour la circonstance – ce spectacle grandiose. Et nous, nous attendons, certains sereinement, d’autres plus ou moins patiemment, d’autres encore, plus ou moins fébrilement, l’énoncé du Jugement.
Il y ceux qui dormaient dans le sommeil de la mort – les saints et les saintes dont les âmes reposent déjà dans la plénitude de la Paix, de la Joie et de la Lumière, et tous ceux dont les âmes étaient purifiées en vue de cet ultime instant solennel – tous à présent réintègrent leurs corps.
Et, il y a ceux qui, étaient encore ici-bas, pris au milieu de leurs occupations : ceux qui étaient aux champs, ceux qui étaient côte à côte dans un même lit, celles qui étaient en train de moudre, tous les autres, et vous et moi. Tous, nous sommes là, formant d’innombrables cortèges humains qui se présentent devant le Roi.
C’est ce Roi que nous fêtons solennellement et que les textes de la liturgie nous présentent tour à tour comme berger, vainqueur, serviteur et juge.
Avec Ezéchiel et le psalmiste, il nous est réconfortant de contempler ce Roi-Berger qui veille sur son troupeau, rassemble les brebis dispersées au temps de la nuit et du brouillard, et les fait paître et reposer. Il prend soin de chacun de ses sujets comme un bon pasteur prend soin de chacune de ses brebis. La brebis perdue, qu’il ramène. Celle qui était blessée, à laquelle il rend des forces, et la bien portante qu’il protège. Un Roi, enfin, qui, au Soir de la Création, sépare les justes et les autres, tel un berger, le soir venu, fait le tri entre les boucs et les brebis avant que ces dernières n’entrent dans l’enclos.
Les quelques lignes que Saint Paul adresse aux Corinthiens nous montrent un Roi-Victorieux des puissances adverses qui fait participer à sa victoire. Ce Roi, c’est Jésus crucifié dont les plaies qui nous jugent sont aussi celles qui nous sauvent. Ce Roi, c’est aussi Jésus Ressuscité, le premier à avoir traversé la mort, le seul capable de conduire les hommes, et de les faire entrer, dans le jardin de la Création Renouvelée. Et Saint Paul nous présente aussi le Roi-Serviteur, le Christ Jésus, qui, au terme de la prodigieuse histoire, remet tout son pouvoir à son Père. A cet instant, dans le Christ, tout est en passe d’être récapitulé, repris, compris, et illuminé.
Enfin, revenons à l’Evangile, c’est-à-dire maintenant, là où nous sommes, vous et moi, avec tous les autres. Au moment de rassembler la fraternité universelle, le Roi-Juge, qui seul connait le cœur de chacun, discerne ceux qui ont su accepter son autorité – parfois sans le connaitre–, afin de les faire entrer dans l’Unité Parfaite.
Le Fils de l’homme est maintenant le Roi qui siège sur son trône de gloire. Il délivre sa Parole comme l’unique instrument de mesure de son jugement : ‘Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.’
Oui, frères et sœurs, maintenant, cette homélie se termine et nous sommes devant notre Roi. A cet instant ténu, nous avons la possibilité de nous convertir, le pouvoir de décider est dans nos mains. Chacun de nous peut décider de son éternité. Pour bénéficier de l’Eternelle Joie, il s’agit de donner à manger aux affamés, de donner à boire aux assoiffés, d’accueillir l’étranger, de vêtir celui qui est nu, et de visiter le malade et le prisonnier. Ce que nous faisons maintenant en faveur des plus petits, c’est au Christ, Roi de l’univers, que nous les faisons.
Puissions-nous l’entendre nous dire : ‘Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. ‘
Amen
P Thierry Coquard