Difficile de croire, dans les temps qui sont les nôtres, à la pertinence de se soucier « des petites fleurs et des petits oiseaux », n’est-ce pas ? Et pourtant, si nous voulons être des artisans de paix à la manière et à l’appel de Jésus-Christ, nous nous rappelons que tout est lié et que l’amour du prochain s’étend à toute la Création. Jusqu’au dernier protiste, elle souffre et attend impatiemment la révélation des fils de Dieu (Rm 8, 20) ; et « parmi les pauvres les plus abandonnés et maltraités, se trouve notre terre opprimée et dévastée » (Laudato Si’, 2).
« Loué sois-tu, mon Seigneur, par/pour sœur notre mère la terre, qui nous soutient et nous gouverne, et produit divers fruits avec les fleurs colorées et l’herbe », chantait saint François d’Assise. En ce Carême qui coïncide avec la fin de l’hiver et le réveil progressif de la nature, reconfigurons notre regard à cette Création que nous ne remarquons même plus sous nos pieds. Il y a là belle matière à louange.
Le territoire de notre ensemble paroissial s’étend largement sur les fameux vallons boisés de l’ouest lyonnais, forts de leur statut d’Espace naturel sensible et de corridor écologique. Quelques centaines de pas nous conduisent rapidement en sous-bois, et celui-ci, avant même les premières feuilles, s’illumine des fleurs du premier printemps. Sans prétendre proposer ici un guide en bonne et due forme, apprenons à en remarquer trois.
L’anémone sylvie Anemone nemorosa
C’est l’une des toutes premières à s’épanouir dans les sous-bois, bien avant que les bourgeons des arbres s’ouvrent, ce qui lui permet de recevoir toute la lumière. Sa fleur blanche à six pétales, avec des étamines jaunes, est toujours orientée vers le soleil. Cela la rend plus visible pour les abeilles et bourdons sauvages les plus précoces qui viennent la polliniser.
Par temps maussade, en revanche, l’anémone referme sa corolle et l’incline vers le sol pour protéger son pollen. Ses feuilles très découpées sont attachées par trois au même point de la tige.
Sous terre, l’anémone se promène dans les bois : son rhizome progresse à la vitesse de deux ou trois centimètres par an, ce qui décale d’autant la position exacte de la fleur chaque printemps.
Dans les sous-bois frais et humides communs dans nos vallons, l’Anémone sylvie peut former de denses tapis d’une blancheur éblouissante.
La Petite Pervenche Vinca minor
Rudérale, c’est-à-dire typique des sols maniés autrefois par l’homme, on peut la trouver dans les parcs et jardins. Elle est impossible à confondre avec sa large fleur violette aux pétales asymétriques, qui donnent à la corolle l’aspect d’un petit moulin à vent à cinq pales. Les feuilles ont la forme d’un œil ou si vous préférez d’un ovale aux extrémités pointues. Contrairement à l’anémone, elle n’est presque jamais pollinisée, car le nectar susceptible d’attirer les butineurs est caché tout au fond de sa corolle. Et comme les bourdons à langue suffisamment longue pour l’atteindre n’apprécient pas la pénombre des sous-bois, la Petite Pervenche ne fructifie presque jamais.
C’est donc à l’aide de ses longues tiges rampantes qu’elle se dissémine alentour et forme, comme l’anémone, des tapis serrés qui dureront quelques semaines.
La Ficaire fausse-renoncule Ranunculus ficaria
Une blanche, une violette, maintenant une jaune ! La Ficaire offre au soleil de la fin de l’hiver son petit soleil doré personnel. Ses pétales, au nombre de 6 à 12, présentent une structure invisible à l’œil nu qui décompose la lumière blanche et reflète les ultraviolets, très bien perçus par les abeilles et les bourdons. La corolle devient ainsi un panneau publicitaire pour pollinisateurs. Ce sont surtout des diptères, plus que des abeilles, qui la pollinisent : des syrphes (petites mouches déguisées en guêpes avec leur abdomen jaune et noir), ou encore le bombyle (sorte de gros pseudo-bourdon velu à longue langue, un des pollinisateurs les plus précoces). Par-dessus le marché, ses fruits sont dotés d’une partie charnue qui attire les fourmis, lesquelles participeront donc à la dissémination. Bel exemple de coopérations en cascade !
Cependant, comme la ficaire tend à fleurir de plus en plus tôt, elle ne peut qu’en partie compter sur les insectes pour se reproduire, et s’appuie davantage sur les méthodes végétatives. Juste sous la surface, la plante dispose d’un stock de tubercules. Enfin, à l’aisselle des feuilles, on trouve des bulbilles, petites rations-survie capables de germer une fois que la feuille en forme de cœur se sera détachée pour être entraînée au loin. Question dissémination, la ficaire n’a vraiment rien négligé !