Les tritons font partie des animaux « méconnus » les plus répandus. Tout le monde sait qu’on trouve, près des mares, des grenouilles et des crapauds… Mais ces petites bêtes à longue queue et aux vives couleurs ? Personne n’y pense. Ils n’interviennent dans aucun conte, dans aucun folklore. Pis, on les englobe souvent sous le vocable de « salamandre » avec la véritable Salamandre tachetée, pourtant bien différente avec son bariolage noir et jaune.
Il est vrai que pour observer le Triton alpestre, il est assez recommandé de sortir plutôt en soirée. On le trouvera alors, comme il se doit, en grande tenue, gris-bleu marbré pour lui, vert léopard pour elle, mais toujours le ventre jaune orangé, bien visible de profil (pas de blague, c’est une espèce protégée, ne prenez jamais l’animal en main pour l’examiner). Ensuite, il faut le trouver. Pas besoin d’escalader une montagne comme le laisserait penser son nom, même s’il est bel et bien capable de survivre dans les lacs de montagne qui gèlent presque entièrement en hiver. Il suffit de choisir les lieux branchés, je veux dire les mares bien connectées entre elles par des milieux favorables aux petites bêtes comme les haies, les prairies pâturées, les bois feuillus ; mais aussi les vieux lavoirs encore en eau, les secteurs calmes des ruisseaux. Bien sûr, c’est surtout à Dardilly qu’on trouve ces petits paradis, mais on le trouve aussi au parc du Vallon à la Duchère. Une condition toutefois : l’absence de poissons.
La mare, la vasque d’eau calme, la flaque profonde, l’élément naturel du triton ? Pas si vite. Si les adultes s’y laissent voir de mars à juin, c’est uniquement pour se reproduire. Une reproduction à base de rituels complexes que l’on peut observer sous sa lampe, avec un peu de chance, et qui consiste pour le mâle à fasciner la femelle par des mouvements du corps vivement coloré jusqu’à l’amener près du spermatophore qu’il vient de déposer. Celui-ci se colle à son cloaque et la fécondation a lieu. Les œufs sont cachés un par un sous une feuille repliée de plante aquatique. La larve éclot deux semaines plus tard et en quelques semaines acquiert progressivement la forme adulte.
L’été fini (ou si la mare s’assèche ou n’offre plus de nourriture), adultes et jeunes de l’année acquièrent une peau plus terne et plus rugueuse, adaptée à la vie terrestre qu’ils vont mener jusqu’au printemps suivant. Au lieu de minuscules insectes aquatiques, les tritons se nourriront désormais de proies du sol forestier, aussi lentes et pataudes qu’elles : limaces, cloportes etc.
L’hiver sera passé en léthargie sous une souche, dans un terrier ou un tas de bois, jusqu’à ce que le retour de la douceur amène les Tritons alpestres à émerger et revêtir de nouveau leur vêture aquatique, rutilante et permettant de respirer sous l’eau. Et l’urodèle fera le printemps !
Comme tous les amphibiens, les tritons sont menacés par la disparition de leur habitat aquatique et terrestre, ainsi que des connexions entre les deux. Leur capacité de dispersion n’est que de quelques centaines de mètres. Ces prédateurs d’invertébrés terrestres et aquatiques (larves de moustiques par exemple) font partie des soutiers des écosystèmes, ceux qu’on oublie toujours mais sans qui la Maison commune aurait tôt fait de nous tomber sur la tête.