10 mars 2024 – Quatrième dimanche du Carême – Laetare

Chers frères et sœurs,

Comme chaque année, tout à l’heure, à l’entrée de l’église, on m’a demandé pourquoi la chasuble que je portais était rose. La réponse habituelle, c’est que nous sommes après la mi-carême et que la fête de Pâques est désormais toute proche : au violet du carême se mêle donc déjà l’or de Pâques, et le rose est le produit de ces deux couleurs mélangées. Mais je me permets de risquer une autre explication. Lorsque vous fermez les yeux sont fermés puis que vous les entrouvrez lentement, si vous êtes face à une source de lumière, celle-ci traverse la fine membrane de vos paupières : de sorte qu’avant de regarder ce qui vous entoure, pendant une seconde, vous ne voyez que du rose. Du rose, c’est donc ce que l’aveugle-né a dû voir en tout premier, pendant un instant, lorsque ses yeux se sont ouverts, avant de pouvoir contempler le monde pour la première fois.

L’évangile prend bien le soin de le préciser : cet homme-là n’est pas devenu aveugle à la suite d’une maladie ou d’un accident, il est né comme cela. Il n’a jamais vu de sa vie ; il ne sait même pas ce que peut signifier le verbe voir, ça ne lui dit absolument rien. Au sujet de Jésus, il ne sait rien non plus : il a juste dû entendre prononcer son nom, mais il n’a pas d’idée précise à son sujet. Jésus, pour une fois, opère un miracle sur quelqu’un qui ne lui a rien demandé. Alors, obéissant, l’aveugle se laisse faire, et, de retour de la piscine de Siloé, à sa grande surprise, il voit soudain la vie en rose, puis en couleurs, puis en détails.

Une paroissienne qui s’y connaît en horticulture me faisait remarquer, l’an dernier, que le rose de cette chasuble est exactement celui d’une rose qui porte le nom de la chanteuse américaine Barbra Streisand. Spontanément, c’est plutôt à autre chose que j’associait son nom : à un phénomène de célébrité involontaire. Il y a une vingtaine d’années, un photographe avait pris un cliché aérien de la luxueuse maison de la chanteuse, et l’avait publié sur Internet, de manière assez confidentielle. Soucieuse de sa vie privée, et furieuse de découvrir que son domaine était ainsi exposé, Barbara Streisand avait alors fait un procès au photographe, afin qu’il retire de son site la photo : mais c’est l’effet inverse qui s’était produit. Le procès, largement médiatisé, avait mis en lumière cette histoire, et au lieu de disparaître, la photo de la maison avait été mille fois plus diffusée. Autrement dit, l’effet Streisand, c’est quand on obtient l’inverse de l’objectif recherché : ainsi, celui qui fait des pieds et des mains pour cacher un fait qui le gêne risque au contraire de le diffuser de façon incontrôlable. Deux mille ans avant Barbra, les Pharisiens de Jérusalem avaient déjà inventé l’effet Streisand : furieux de voir que Jésus a donné la vue à l’aveugle-né, ce qui n’était su que de ses parents et de quelques voisins, ils font des pieds et des mains pour étouffer l’affaire… et de la sorte, ils rendent Jésus célèbre dans tout Jérusalem.

L’effet Streisand, c’est surtout sur l’ancien aveugle qu’il est impressionnant. Au début de l’évangile, il apparaît totalement passif : assis à la porte du Temple, mendiant, silencieux, sans demande à l’égard de Jésus, résigné à sa cécité, faute d’imaginer autre chose. Au fur et à mesure que l’histoire avance, nous voyons tout ce qui se produit en lui : la vue et la joie ; la capacité à raconter son histoire, à la creuser, à s’interroger sur l’identité de « l’homme qu’on appelle Jésus » ; son bon sens, sa logique et son humour ; son courage, sa liberté et, enfin, sa foi. Plus on l’interroge, plus il réfléchit ; plus on exige de lui qu’il dénonce Jésus, plus il le découvre ; plus on lui dit de se taire, plus il devient impertinent et drôle. Au premier miracle, celui de la vue, succède un second miracle, celui de la foi. Et quand Jésus, enfin, apparaît sous ses yeux, l’homme peut le reconnaître et croire en lui de tous ses yeux et de tout son cœur.

Il y a quatre-vingts ans exactement aujourd’hui, mourrait au combat, en Haute-Savoie, un jeune homme originaire de Lyon et d’Écully. Il se nommait Théodose Morel-Journel, mais il est plus connu sous son nom de résistant, Tom Morel. Depuis sa jeunesse, formé à l’école du scoutisme, il portait en lui un grand idéal de justice et le désir de se donner généreusement, sans compter, à cause de sa profonde foi. Au début de la Deuxième Guerre Mondiale, il avait rejoint les réseaux de la Résistance à Lyon, puis sur le Plateau des Glières : c’est là, le 10 mars 1944, qu’il est tué dans un échange de tirs avec des miliciens. À 17 ans, il avait écrit dans son Journal : « Un chrétien doit être le premier partout, s’il veut que son christianisme porte témoignage. » Il a été jusqu’au bout, avec courage.

Chers Alexis et Pablo, chers fiancés, chers enfants qui vous préparez à la communion, chers frères et sœurs, dire que la vie chrétienne est une vie en rose ne signifie pas que c’est une vie confortable. Être disciple et ami du Christ, c’est résister, avec courage, avec finesse et avec humour, à toute espèce d’injustice et de mensonge. Cela peut sembler intimidant, mais c’est Dieu lui-même qui nous en rend capable, c’est lui qui ouvre nos yeux sur le monde tel qu’il l’aime, nous faisant passer de la nuit à la lumière, de la cécité à la vue, et de la vue à la vie,

Amen.

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