12 juin 2022 – Dimanche de la Très-Sainte Trinité

Chers frères et sœurs,

Il y a dans la vie des paradoxes joyeux et des paradoxes douloureux. Les premiers nous émerveillent, les seconds nous font honte. Bien souvent, il me semble que c’est comme un paradoxe douloureux que nous vivons cette fête de la Trinité. Nous avons conscience que Dieu Un en trois personnes est le cœur de notre foi, mais nous avons toutes les peines du monde à l’expliquer. Nous savons que c’est vrai, mais nous peinons à trouver les mots justes. D’où notre honte et notre désarroi : si nous ne savons pas défendre la vérité, la vérité cesse-t-elle d’exister ?

Cette question a déjà été soulevée dans la liturgie, le jour du Vendredi Saint. Au cours de l’interrogatoire qu’il subit, Jésus déclare être « venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. » Ponce Pilate, lui demande alors : « Qu’est-ce que la vérité ? » Pas de réponse. La question de Pilate est sujette à interprétation. Faut-il y voir l’ironie d’un apparatchik blasé par les intrigues et les jeux de pouvoir, qui a constaté qu’en politique rien n’est sacré, bref que la vérité n’existe tout simplement pas ? Ou bien, peut-on imaginer que les paroles de Jésus touchent réellement le cœur de Pilate, et l’amènent à poser une question existentielle à cet homme étonnant, en qui il ne voit « aucun motif de condamnation » ?

Toujours est-il que Jésus ne répond pas, ou que Pilate n’attend pas la réponse. La véritable réponse à l’existence de la vérité, Jésus la donnera lui-même quelques heures plus tard, cloué sur la croix : ce n’est pas par un discours argumenté, mais par sa vie donnée par amour jusqu’au bout, qu’il témoigne de la vérité. Mais l’on pourrait dire également que Jésus a déjà répondu à cette question, dans l’évangile que nous lisons en ce dimanche de la Trinité : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. » Jésus ne prétend pas répondre à toutes les questions qu’on lui pose, ni celles des apôtres, ni celle de Pilate. Ceux-ci sont souvent dans la demande d’une réponse immédiate, alors que la vérité, comme le dit l’écrivain latin Aulu-Gelle, est « fille du temps », elle ne se dévoile que dans la durée.

Nous le constatons bien nous-mêmes : enfants, avant même de maîtriser le langage et ses subtilités, nous avons spontanément accès à la notion de vérité, et si l’on nous ment, nous défendons avec ardeur ce que nous savons être vrai. En grandissant, nous cherchons à acquérir les mots les plus exacts, les plus techniques, les plus rigoureux, pour dire le vrai ; et nous constatons que, souvent, les mots sont pauvres devant les réalités dont ils essayent de rendre témoignage. Aussi, pour transcrire la vérité, la moins mauvaise solution est peut-être de recourir à la poésie.

La poésie est un art, qui comme tous les autres arts demande un peu de talent et énormément de travail. Comme les autres arts, elle vise à exprimer la vérité de la vie d’une façon qui saisisse le cœur autant que l’intelligence, et elle le fait au moyen de la musicalité des mots et de leur puissance d’évocation. Quand Paul Éluard dit que « la Terre est bleue comme une orange », quelque chose de vrai et de beau vient vers nous à travers un propos paradoxal, déconcertant.

Les meilleurs poètes sont, la plupart du temps, les enfants et les amoureux. Ils savent dire les choses de manière à la fois très sobre et très imagée. Ils sont de bons poètes parce qu’ils savent que la vérité n’est pas un concept à illustrer, mais qu’elle est quelqu’un à aimer : et c’est si joyeux que la parole pour le dire en est transfigurée. Il en va de même pour la fête de la Trinité : toute la Bible, tout l’évangile, pourraient se résumer à un axiome très simple : « Dieu est amour. » (1Jn 4, 😎 Or, comme cet amour n’est pas une abstraction mais une relation, c’est par la poésie que la Trinité s’exprime le mieux.

Alors, qu’est-ce que la Vérité ? C’est l’amour sur lequel nous ne pouvons pas mettre la main, parce qu’il ne nous appartient pas. C’est l’amour qui par nature se donne et se communique. C’est l’amour qui est notre destination, puisque l’Esprit vient nous conduire dans la vérité toute entière. La Vérité, c’est la poésie de Dieu, sa manière de nous dire son amour dans un langage qui parle au plus intime de nous-mêmes. Voilà ce que nous fêtons en ce dimanche de la Trinité : la vie en Dieu est trop belle, trop grande et trop longue pour la priver de poésie !

Amen.

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