13 novembre 2022-Trente-Troisième Dimanche du Temps Ordinaire13 novembre 2022-

Chers frères et sœurs,

Vous souvenez-vous de la fin du monde ? C’était il y a tout juste dix ans : d’après les calculs d’un antique calendrier maya, le monde devait cesser d’exister précisément le 21 décembre 2012. Et je me rappelle comme si c’était hier la nuit du 21 au 22 décembre de cette année-là : je logeais dans un appartement ancien, sans aucune insonorisation, et de l’autre côté du mur se trouvait une joyeuse colocation d’étudiants. Ceux-ci, bien décidés à finir en beauté, avaient invité tous leurs amis pour une dernière fête avant la fin du monde… Le mur était si fin et la musique si forte que j’avais l’impression que cette gigantesque fiesta se passait au pied de mon lit. Cependant, au bout de la nuit, l’aube du 22 décembre s’était quand même levée, puis l’aube des jours suivants : le monde n’avait pas dit son dernier mot.

Il y a dix ans, cette fausse fin du monde ne faisait pratiquement peur à personne, elle était juste un bon prétexte pour faire la fête. Dans les dix dernières années, la fin du monde est devenue une thématique récurrente dans l’actualité, sinon la thématique principale. En dépit de toutes les annonces de sa fin imminente, le monde continue de tourner : toujours las, mais toujours là. Comment l’évangile peut-il répondre à notre longue attente, et à notre grande lassitude ?

Si nous regardons l’évangile de près, nous constatons que Jésus ne parle pas d’une seule fin du monde, mais de plusieurs fins, les unes après les autres, en deux catégories : les fins pour plus tard, et les fins pour bientôt. Un jour viendra le grand ébranlement du monde : la fin du Temple de Salomon – qui sera en effet détruit par les armées de Titus, quarante ans plus tard, après la prise de Jérusalem – et la fin de la société, usée par les guerres, les maladies, les phénomènes du ciel et de la terre. Mais, plus proche de nous et plus concret, viennent les persécutions. On pense spontanément à celles qui viennent de l’extérieur : lorsque les autorités, prises de fièvre, veulent éliminer les Chrétiens, d’une manière ou d’une autre. Pourtant, Jésus indique une autre situation, pire encore : « Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis… » La plus insupportable des persécutions, c’est celle qui vient de l’intérieur, lorsque l’on est trahi par ceux qui nous ont donné la vie : cette situation-là a vraiment une odeur âcre de fin du monde. En lisant cet évangile, il est difficile de ne pas penser à tout ce que notre Église a traversé et enduré cette semaine, avec la révélation de cette surabondance de mal qui vient de l’intérieur. Jusqu’à quand durera cette fin du monde, qui semble interminable ?

L’évangile pourrait bien, dans ces conditions, nous pousser à la tristesse et au découragement. Or c’est exactement l’inverse qui se produit. A chaque obscurité qu’il évoque, Jésus donne une lumière de plus pour traverser la nuit. Il invite ses disciples à tenir le cap et à se rendre disponibles à l’action de Dieu. Une phrase, en particulier, me frappe : « Mettez-vous donc dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. » J’imagine Jésus parler en frappant gentiment du poing le crâne de ces disciples : écoutez bien, il faut que ça rentre dans vos caboches ! Si la vérité est la vérité, elle sera plus forte que le mal qui nous assaille, qui nous menace et qui nous insulte. Si la vérité est la vérité – et pas seulement notre idéologie préférée ou notre idée fixe favorite – alors nous ne sommes pas tenus de nous réfugier dans la stratégie pour la défendre, dans les plans de com, les éléments de langage et les réponses toutes faites. Ce moment de l’histoire impose juste que nous le vivions en Chrétiens.

On raconte une très belle petite histoire au sujet de saint Louis de Gonzague, un Jésuite italien mort à 23 ans, en 1591 – une sorte de Carlo Acutis du XVIème siècle. Un jour, quand il était adolescent, Louis de Gonzague jouait au ballon avec ses amis, d’autres novices jésuites ; l’un d’eux demande à haute voix : Si tu savais que la fin du monde a lieu dans une demi-heure, que ferais-tu ? L’un des garçons dit : Moi, j’irais tout de suite me confesser ! Un autre : Moi, je prendrais mon chapelet et je prierais de toutes mes forces ! Un troisième : Moi, je filerais à la messe pour communier à la dernière minute ! Et Louis de Gonzague de répliquer, en souriant : Moi, je continuerais ce que je suis en train de faire… jouer au ballon !

Saint Louis de Gonzague, comme mes voisins il y a dix ans, avait le projet de continuer à s’amuser. Mais si mes voisins le faisaient pour éviter de penser à la fin du monde, Louis de Gonzague, lui, l’aurait volontiers accueillie, tellement sa vie était en ordre, sans angoisse et sans détour. Il savait qu’au-delà de la fin du monde, il y a le Christ en personne, vers qui sa foi l’entraînerait immanquablement. Chers frères et sœurs, je traverse comme vous toutes ces fins du monde, celles qui m’effleurent et celles qui me font mal ; mais j’ignore quand sera la dernière fin du monde. Je n’ai rien de mieux à vous proposer que la partie de ballon de saint Louis de Gonzague : vivre pour de bon notre vie chrétienne là où nous sommes, comme ces disciples à qui le Christ demande d’abaisser leur regard : le détachant des plaques de marbre clinquantes de la façade du Temple, pour le poser à la base des murs, vers les pierres de fondation, et vers les bases solides du nouveau Temple qui est Jésus en personne. Au milieu de l’interminable fin, la vie du Christ ne fait que commencer.

Amen.

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