Chers frères et sœurs, chers premiers communiants,
Depuis deux mois, nous suivons les disciples dans leurs montagnes russes spirituelles. A l’approche de Jérusalem, conscients du danger, ils étaient assez inquiets, mais l’entrée triomphale de Jésus dans la Ville sainte les avait ravis : le succès était à portée de main. Quelques jours plus tard, catastrophe : trahi, arrêté, abandonné, crucifié, Jésus n’était plus rien, et eux-mêmes ils étaient désespérés. Au matin de Pâques, la résurrection semble trop belle pour qu’ils osent y croire. Et finalement, la joie l’emporte, immense, souveraine. C’est peu dire qu’ils sont heureux. A vrai dire, ils sont – pour le dire de manière un peu triviale – remontés comme des pendules. Cette fois, c’est eux qui ont gagné. Et maintenant qu’il est ressuscité, victorieux de la mort, Jésus va pouvoir se venger de ceux qui lui ont fait du mal, régler leur compte aux Romains, libérer Israël, se couronner roi, et – qui sait ? – peut-être deviendra-t-il César à la place de César…
Or, c’est précisément là que Jésus leur dit : « Les amis, vous allez être déçus. » Car les disciples, incorrigibles, n’ont pas encore tout compris. Jésus n’est pas ressuscité pour une vengeance personnelle ou pour un triomphe politique ; il l’est parce que « le Père aime le Fils et il a tout remis entre ses mains. » Mais désormais, la place du Fils est auprès de son Père, dans cette Maison de vie éternelle dont il est la Porte. Il va donc surprendre et décevoir ses disciples en les quittant.
Mais la déception n’est pas forcément une mauvaise chose en soi. En Suisse, il existe même une jolie expression : être « déçu en bien ». On s’attendait à quelque chose de bien, qui n’arrive pas ; mais ce qui arrive à la place est en réalité encore mieux, et l’on est donc agréablement surpris. Jésus, certes, ne va pas faire ce que ses disciples espéraient, mais il leur promet qu’ils vont être déçus en bien. Il va les quitter matériellement et ils ne le verront plus ; mais celui qu’il enverra, l’Esprit de vérité qui va venir sur eux et en eux, accomplira et réalisera tout ce qu’il leur a dit.
Le problème, avec l’Esprit-Saint, c’est qu’on ne le voit pas. Ce serait pratique si, au cœur de chaque messe, au moment où le prêtre dit les paroles de la consécration, un rai de lumière scintillante descendait du ciel sur l’autel, pour indiquer que le pain se change bien en corps du Christ, et le vin en sang du Christ. Ce serait tellement plus facile de croire ! Sauf que, justement, il n’y aurait aalors plus besoin de croire. Quand tout est évident, il n’y a plus besoin de chercher, ni de faire confiance. Il n’y a plus ni doute, ni foi, ni liberté, et il n’y a plus vraiment non plus de relation d’amour. Si Dieu s’impose, pouvons-nous encore le choisir ? Jésus déçoit ses disciples précisément parce qu’il refuse de s’imposer ; pour les aider dans leur liberté, pour les faire grandir dans l’amour, il leur donne cet Esprit de vérité dans la liberté, qui est d’autant plus grand qu’il est invisible.
Il est invisible, mais, comme Jésus le dit à ses disciples, « vous le connaissez, car il demeure auprès de vous, et il sera en vous. » Parce que c’est l’Esprit qui fait de ces offrandes, le pain et le vin, le Corps et le Sang du Christ, il est juste de dire cela aussi de l’eucharistie. « Vous la connaissez » : et je peux témoigner du sérieux et de la joie qui ont été les vôtres tout au long de cette année de préparation à la première communion. « Elle demeure auprès de vous » : durant toutes ces années, vous vous êtes approchés de la communion et vous avez reçu la bénédiction, dans l’attente de ce jour. Et, dans quelques minutes, l’eucharistie « sera en vous », pour vous habiter et vous vivifier de l’intérieur.
Chers amis, dans quelques minutes, vous serez peut-être déçus. Vous vous êtes préparés depuis des mois pour la première communion, mais l’hostie que vous allez manger n’a pas beaucoup de goût, elle est même franchement fade. Au calice, vous n’allez boire qu’une toute petite goutte de vin. L’eucharistie, ce n’est pas une question de gastronomie, mais d’amour : le Corps et le Sang du Christ, vivants dans l’Esprit-Saint, viennent nourrir la communion avec Dieu vainqueur et glorieux !
Je vais même vous décevoir une seconde fois, en vous disant que la plus belle des eucharisties, ce n’est peut-être pas celle de ce matin. Je voudrais vous inviter dès aujourd’hui à votre deuxième communion, dimanche prochain. Ce jour-là, il n’y aura plus toute votre grande famille réunie, il n’y aura plus le repas, et les cadeaux, mais qu’il y aura toujours l’Esprit qui fera de cette deuxième eucharistie une fête, un rendez-vous certes plus secret, plus intime, et de ce fait encore plus beau ! Et après la deuxième eucharistie, il y aura la troisième… En fait, je pourrais résumer en vous disant : la plus belle eucharistie, c’est toujours la prochaine.
Chers amis, chers frères et sœurs, présentez à Dieu, avec confiance, le désir qui habite votre cœur, et laissez-le vous donner à la place ce que vous n’imaginiez pas. Laissez-le vous aimer, vous surprendre, bref : laissez-le vous décevoir en bien !
Amen.