Fête paroissiale – Messe célébrée à la Basilique Notre-Dame de Fourvière, à Lyon
Chers frères et sœurs,
Il y a des rencontres dont il faut fêter l’anniversaire. Il y a deux semaines, la famille ignacienne a célébré, à Marseille, le cinq-centième anniversaire de la rencontre de la jambe droite de son fondateur, saint Ignace de Loyola, avec un boulet de canon. Le 20 mai 1521, devant la ville de Pampelune, en Navarre, Ignace avec ses soldats combat l’armée française de François 1er ; il a trente ans, il est ambitieux, il projette de devenir un grand chevalier, et il se dit qu’une victoire militaire lui attirera la gloire, les médailles et les yeux doux des belles demoiselles. Or ce jour-là, dans le feu de la bataille, un boulet de canon français vient le faucher, et brise non seulement sa jambe droite, mais aussi tous ses rêves et tous ses espoirs.
C’est une histoire triste… ou peut-être pas. Car sur son lit de convalescence, Ignace, après avoir pleuré, se convertit. Il ne peut plus devenir militaire, alors il sera soldat de Jésus-Christ, et il ira porter la foi jusqu’au bout du monde. Sur ce lit commence la grande aventure de l’ordre jésuite. Mais connaissez-vous ce détail, au sujet de la jambe droite de saint Ignace ? Dans sa chambre à Loyola, quand sa jambe se répare, Ignace se rend compte qu’elle est devenue plus courte qu’avant, de plusieurs centimètres. C’est un vrai handicap. Alors, il prend une grave décision : il demande à son chirurgien de recasser la jambe pour pouvoir la rallonger. Et ce, je vous le rappelle, à une époque où l’anesthésie n’existe pas…
Vous vous demandez peut-être quel rapport il y a avec l’évangile de ce dimanche. Le lien, je le vois dans les sentiments que ces deux événements – la jambe de saint Ignace et la fin du monde – peuvent nous inspirer. Ici, une jambe en mauvais état, qu’il faut recasser pour la réopérer ; là, un monde bien connu, lui aussi en mauvais état, et qui un jour va cesser d’exister. Deux perspectives angoissantes, difficiles à accepter. Oui, ça va faire mal ! Faut-il vraiment en passer par là ? N’y a t-il aucune alternative ?
Cet évangile aux accents apocalyptiques nous raconte donc, lui aussi, une histoire triste… ou peut-être pas. Car l’histoire de la fin du monde contient en elle une autre histoire, celle de la venue du Christ, venue glorieuse et libératrice, heureux dénouement de la détresse et de la peur. Au cœur de la mauvaise nouvelle, il y a une bonne nouvelle – il y a LA bonne nouvelle par excellence. Si tout ce que nous connaissons et qui nous rassure s’ébranle et s’écroule, et si nous perdons tout cela, ce que nous gagnons est infiniment plus précieux, puisque nous gagnons le Christ en personne !
Changer, ce n’est jamais évident, surtout s’il faut d’abord casser. Il y a inscrit en nous une naturelle résistance au changement qui est logique et sage : spontanément, nous désirons la sécurité, la stabilité. Pour discerner si un changement est légitime, il faut, comme dit Jésus, « se laisser instruire », puis peser le pour et le contre dans la prière, et, le cas échéant, accepter ce que Dieu nous invite à quitter.
Nous étions par exemple bien à l’aise dans la traduction du Missel Romain qui avait cours depuis des dizaines d’années ; mais l’Église nous invite à découvrir une traduction plus juste, plus précise, ce qui passe par un bouleversement des mots que nous utilisions : pas très confortable, mais sans doute profitable. Nous étions bien à l’aise dans notre paroisse de Dardilly, dans notre paroisse d’Écully, dans notre ensemble Champagne-la Duchère ; mais le diocèse nous a appelé à mettre nos forces en commun pour mieux vivre l’évangile et mieux l’annoncer, et depuis un peu plus de trois ans cela a signifié un certain nombre de changements pas très confortables, mais vraiment profitables. En entrant dans la démarche du synode, l’Église une fois encore nous invite, comme saint Ignace à Loyola, à prier, à discerner et à laisser Dieu nous instruire. Car ce ne sont pas nos idées, nos dadas, nos envies qui doivent guider le synode, mais c’est Dieu, qui nous oriente non vers ce qui nous est confortable, mais vers ce qui nous est profitable. Que nous dit-il ? Que désire-t-il pour son Église ? Quels sont les signes qu’il nous donne au cœur des crises que nous traversons, quels sont les bourgeons de figuier qui nourrissent notre espérance ? Et, puisque c’est aujourd’hui la journée mondiale des pauvres, quels sont les pauvres par qui il nous ramène à l’évangile ?
Encore une question : qu’est devenue la patte folle de saint Ignace ? Eh bien, ça n’a pas vraiment marché. L’opération a été douloureuse, mais Ignace malgré tout est resté boiteux toute sa vie, avec une jambe droite restée un peu plus courte que l’autre. Le vrai miracle était ailleurs : celui de l’appel de Dieu à le suivre. Ce qui compte vraiment, c’est le Christ : il est là, à notre porte. Et tout le reste – nos jambes, nos missels, nos paroisses, nos structures – est secondaire. Chers frères et sœurs, à la fin de cette journée de fête, dans cette messe d’action de grâces pour ce que nous vivons depuis plus de trois ans ensemble, paroissiens de Champagne, Dardilly, la Duchère et Écully, demandons au Christ de toujours être au centre de notre vie, et de diriger nos pas incertains, clopin-clopant, à sa rencontre !
Amen.