16 janvier 2022. Deuxième dimanche du Temps Ordinaire

Chers frères et sœurs,

Il y a un truc… C’est sûr, il y a un truc… Il y a forcément un truc ! Si les tours de magie conservent leur pouvoir de fascination sur les grands comme sur les petits, c’est parce qu’ils parviennent à toucher à la fois le cœur et la tête. Tandis que les plus jeunes sont capables de s’émerveiller de tout leur cœur devant une transformation inexplicable, les plus âgés sentent leur curiosité piquée au vif, et désirent relever le défi et résoudre rationnellement le « truc » qui permet l’illusion. Car, les grandes personnes vous le diront, la magie, ça n’existe pas : tout cela n’est qu’illusion. Il faut juste trouver le truc.

Contrairement à un illusionniste de music-hall, Jésus, dans l’évangile de ce dimanche, ne fait pas la démonstration de ses talents, ne se met pas en scène dans un costume à paillettes. Au contraire, il fait tout pour se tenir en retrait. « La mère de Jésus était là. Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples » : dès le début, saint Jean suggère que Jésus n’a rien d’un invité d’honneur, au contraire. On dirait plutôt qu’au nom de l’hospitalité proche-orientale, il a gentiment été rajouté in extremis à la liste des convives, avec sa petite bande de copains. A la noce, on les devine un peu à l’écart, discrets, silencieux et – chose notable – pas ivres morts, à la différence de certains des commensaux. Non, l’heure de Jésus n’est pas encore venue. Pour le moment, il compte bien rester dans les coulisses. 

A l’occasion d’un grand évènement, les spécialistes de l’événementiel sont parfois amenés à embaucher des « extras », des gens qui ne sont pas des professionnels du service mais qui viennent ponctuellement prêter main-forte. C’est ce qui arrive fréquemment à l’occasion d’un mariage. Et c’est aussi ce que fait Jésus : dans la nécessité, et pour conserver son anonymat, il embauche lui aussi des extras, chacun dans un rôle bien déterminé.

Le premier extra que Jésus s’adjoint, c’est sa propre Mère : fidèle à son attitude depuis le commencement, Marie observe, elle écoute, et sa mission est de susciter la compassion de Jésus. Son intervention tient en six mots : « Ils n’ont pas de vin. » Et c’est tout ! Elle ignore ce que va faire son Fils, mais elle le connaît assez pour savoir que cela suffit : elle a fait ce qu’elle devait faire, elle peut passer le relais aux serviteurs. Ceux-ci – en deuxième position – sont doublement des extras, engagés qu’ils sont d’abord par les mariés, ensuite par Jésus. Eux non plus ne savent pas tout, mais ils exécutent avec obéissance les ordres a priori épuisants et absurdes de Jésus : extraire du puit voisin six cent litres d’eau, les transvaser des seaux dans de grandes jarres, puis y plonger une cruche ou une louche… cela représente un effort considérable et une énorme perte de temps. Pourtant, ils obéissent et, à leur tour, ils passent le relais au maître du repas. C’est lui, ce traiteur à la mode ancienne, qui est le dernier extra de cette chaîne, et qui, portant le liquide à ses lèvres, y reconnaît un nectar : il devait être aussi un peu œnologue sur les bords… Il s’étonne, il n’en revient pas, il ne comprend pas tout lui non plus, mais il peut offrir au marié un vin d’exception.

Marie, les serviteurs, le maître du repas : trois extras pour les trois étapes du signe de Cana. Je ne peux m’empêcher de penser aux trois étapes classiques des tours d’illusionnistes : la Promesse, le Tour et le Prestige. La Promesse consiste à présenter les éléments du numéro et à établir un lien entre le prestidigitateur et son public. Le Tour – ou le Revirement – crée une tension et une inquiétude en faisant disparaître l’élément central et en désorientant le public. Enfin, le Prestige, c’est le clou du spectacle, la réalisation du tour de magie, lorsqu’enfin l’objet disparu réapparaît ! Marie, c’est donc la Promesse – quel beau nom, Notre-Dame de la Promesse ! ; les serviteurs qui sont dans le coup, c’est le Tour, le Revirement ; et le maître du repas, c’est le Prestige. Et quel vin de prestige ! 

Au moment où tout semble coller, c’est là que s’arrête la comparaison entre le signe de Cana et le tour de l’illusionniste. Quand ce dernier triomphe sous les applaudissements, Jésus est absent de la dégustation du nectar. Seuls les serviteurs savent et sourient, mais sans révéler d’où vient le précieux liquide. Ils ne récoltent pas les éloges du jury, mais ils entrent dans la foi – ce qui est bien mieux ! Lorsque saint Jean évoque ce que boit le maître du repas, il écrit que celui-ci « goûta l’eau changée en vin. » Ni de l’eau, ni du vin, mais de « l’eau-changée-en-vin », comme s’il s’agissait d’un seul mot. L’eau ne disparaît pas pour céder la place au vin, pas plus que le vin n’est une illusion gustative. Si nous nous demandons à quel moment s’opère le changement : quand l’eau sort du puit ? Quand elle touche le fond des jarres ? Quand elle parvient aux lèvres du maître du repas ? L’évangéliste nous répond : c’est la totalité de l’histoire, de la première question de Marie jusqu’à la reconnaissance du signe qui donne la foi, qui raconte la transformation. Ce n’est pas de la magie : c’est de l’amour.

Dans le signe de l’eau changée en vin, Jésus, quelques jours après son baptême et l’appel de ses propres disciples, laisse entrevoir qui il est. De même que l’eau est devenue vin sans cesser d’être eau, de même en Jésus la divinité s’est unie à l’humanité, sans mélange, sans confusion, sans remplacement de l’une par l’autre. Ce n’est pas de la magie, c’est de l’amour. De même encore, quand dans quelques minutes nous viendrons communier à l’eucharistie, ce sera vraiment le Corps du Christ que nous recevrons, sans qu’il cesse d’être cet humble petit morceau de pain. La grâce ne supprime pas la nature mais la porte à son achèvement. 

Chers frères et sœurs, il y a belle lurette sans doute que les convives de la noce de Cana ont terminé de boire les six cent litres de ce nectar, mais elle continue, cette transformation par laquelle les extras sont changés en disciples, et les serviteurs de la noce, en amis du Christ. « Ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau… » Que le Seigenur nous donne de découvrir toujours plus, toujours mieux, le secret de sa vie : ce n’est pas de la magie, c’est de l’amour !

Amen.

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