Chers frères et sœurs,
Lorsque, pour la toute première fois, vous prenez contact avec un inconnu, vous écrivez ou vous téléphonez à une personne qui ne vous connaît pas, et que donc vous devez décliner votre identité, quels sont les premiers mots qui vous viennent ? Sont-ce des paroles que vous avez depuis longtemps réfléchies, ou que vous improvisez dans l’instant ? Se présenter en une seule phrase, claire et concise, est un exercice moins facile qu’il n’y paraît, et qui en dit long sur soi-même.
Heureusement, nous avons ce dimanche un spécialiste et un maître en la matière. Laissons-le se présenter : « Paul, serviteur du Christ Jésus, appelé à être apôtre, mis à part pour l’Évangile de Dieu. » Cette première phrase de la lettre de saint Paul aux Romains passe aisément inaperçue, comme si elle n’était qu’une formule convenue de politesse ; en réalité, elle est une synthèse remarquable de l’histoire de Dieu dans la vie de saint Paul. Et chaque mot, savamment choisi, porte la trace de la conversion et de la transformation qui ont pour toujours changées la vie de Paul.
D’abord, un prénom : « Paul ». Ou, plus exactement, un prénom transformé un surnom. Car Paul se nommait Saul, en souvenir du roi Saül, et ce prénom a lui seul avait le parfum de la meilleure aristocratie d’Israël : comme si vous vous appeliez Louis (ce qui arrive) ou Napoléon (ce qui est plus rare). Devenu Chrétien, Saul change son nom en Paulos – il signe ainsi ses lettres écrites en Grec – ou Paulus – son nom de citoyen romain, possiblement Caius Iulius Paulus. ‘Paulus’ signifie « le Petit » : en un surnom en forme de jeu de mots, Paul dit comment lui, né dans l’élite, depuis qu’il est tombé de cheval sur la route de Damas, se considère comme un de ces « plus petits » que le Christ appelle ses frères.
Ensuite, une mission : « Serviteur du Christ Jésus ». Serviteur, en Grec ‘doulos’… mieux vaudrait traduire ‘esclave’. Paul, le citoyen romain, l’intellectuel impétueux, le fort caractère indépendant, se plaît à dire qu’il s’est librement mis par amour au service du Christ, à la vie, à la mort.
Puis une vocation : « Appelé à être apôtre ». Voilà qui pourrait être d’une prétention incroyable. Les apôtres ne sont-ils pas ces douze hommes jadis choisis par Jésus en personne ? Or Paul, comme Matthias, appartient à cette deuxième génération des apôtres, qui succède à la première. Ce n’est pas en raison de ses mérites qu’il l’est devenu, mais en vertu de l’appel gratuit de Dieu, et par l’expérience de sa miséricorde : aussi se considère-t-il comme « le plus petit des apôtres » (1Co 15, 9) : tout petit, oui, mais bel et bien apôtre.
Enfin, une consécration : « Mis à part pour l’évangile de Dieu ». Saul était Pharisien, c’est-à-dire « séparé », persuadé de sa supériorité spirituelle et morale. Paul découvre qu’il est à nouveau mis à part, dans le sens où sa vie ne lui appartient plus : elle est donnée, réservée, offerte, pour l’annonce de l’évangile.
Nom, mission, vocation, consécration : ainsi Paul décline-t-il, en même temps que son identité, l’histoire de Dieu dans sa vie, Dieu dont la foudroyante initiative a tout transformé. Ce qui est vrai pour Paul est aussi, ce dimanche, singulièrement vrai pour saint Joseph. Lui aussi voit sa vie doublement transformée : par la déception, puis par la grâce. Il avait tout prévu, tout avec Marie s’annonçait sous les meilleurs auspices, jusqu’à ce que tout s’écroule. C’est la première partie de l’évangile de ce quatrième dimanche de l’avent : un trouble profond qui sape les projets et le moral de Joseph : son nom va être sali, sa vie, fichue.
Or Joseph est un Juste. C’est presque pour lui un nom de famille, indissociable de son prénom, de son identité. Il n’est pas un juste seulement au sens où il est aimable et honnête. Il veut vivre selon la justice de Dieu, et, face à l’inattendu qui lui tombe sur la tête, il sait discerner. Il sait comment chercher le meilleur bien disponible. Et surtout, il prend le temps. Jadis, un professeur de séminaire m’avait dit que, pour prendre une décision importante, il fallait toujours prendre le temps d’« une nuit et une messe » : saint Joseph ne va pas à la messe, mais il prend le temps de la prière et du repos avant de poser la décision qu’il médite. Alors devient possible le songe par lequel Dieu propose à Joseph d’accepter de mettre Jésus au monde, c’est-à-dire de le faire pleinement entrer dans ce monde où il s’apprête à naître.
Bref, quelle remontada, digne des buts marqués aux 80ème et 82ème minutes du match de cet après-midi ! Joseph était désorienté, affligé, cassé ; et voilà que le songe qui se donne à lui dans la prière et le repos lui apporte ce dont il avait besoin : un nom, une mission, une vocation, une consécration. Une véritable renaissance pour préparer la naissance de celui que tout le monde prendra pour son fils, et dont il sera le fidèle serviteur jusqu’au bout. A nous qui attendons Noël, que Dieu donne le nom, la mission, la vocation et la consécration par lesquels nous serons renouvelés,
Amen.