18 mai 2023 – Ascension du Seigneur

Chers frères et sœurs,

Je viens de faire le signe de croix, et je constate qu’au moins les deux tiers d’entre vous m’avez imité. Les uns, machinalement ; les autres, avec un peu plus de surprise. Au début du troisième siècle, Tertullien notait déjà que les Chrétiens faisaient ce geste « en toutes circonstances », avec naturel, et peut-être déjà, de façon un peu automatique. Nous-mêmes, à force de le faire – une dizaine de fois à chaque messe et, vraisemblablement, plusieurs fois dans le reste de la journée – il n’est pas garanti que nous pensions toujours à sa signification profonde. Moi-même, je sais que je le fais souvent avec une grande distraction. Un jour, au cinéma, alors que le générique de fin du film défilait sur l’écran, je suis sorti de mon siège et, au bout du rang, j’ai fait une génuflexion et le signe de croix… et je me suis senti soudain très bête.

Les paroles que nous prononçons tout en traçant sur nous la croix, « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit », apparaît pour la première fois à la fin de l’évangile selon saint Matthieu, le texte que nous venons d’entendre. Au moment de les quitter, Jésus envoie ses apôtres en mission, avec une consigne spécifique : c’est de baptiser tous ceux qui deviendront disciples avec cette triple invocation. Par définition, le baptême a lieu une seule fois pour toutes dans une vie ; le signe de croix nous permet, autant que nous le voulons, de réactiver tout au long du jour cet unique et permanent don du baptême.

Si cette formule est riche de promesses, pourquoi donc les Chrétiens l’ont-ils associée à un geste qui dessine dans le vide la croix, ce sinistre instrument de torture ? Si l’aventure de Jésus s’était tragiquement achevée dans l’après-midi du Vendredi Saint, par une mort irrémédiable sur le Golgotha, il y aurait de quoi regarder la croix avec crainte et ressentiment. Mais depuis Pâques, tous les symboles du monde ancien ont été retournés, renversés. La croix ne nous fait plus peur. Comme ces têtes de lions mangeurs d’homme changés en trophée de chasse et accrochés au-dessus de la cheminée, la croix a été, comme l’écrit saint Paul, « dépouillée (…) et publiquement donnée en spectacle, (…) dans le cortège triomphal du Christ. » (2Co 10, 14-15)

Au-delà d’elle-même, la croix, tracée de deux traits qui s’entrecroisent, correspond précisément à ce que cette solennité de l’Ascension souligne. Dans ce geste d’une infinie simplicité se rencontre la verticalité et l’horizontalité. Le Christ monte vers le Père, d’où, à la Pentecôte, il enverra l’Esprit-Saint : mouvement vertical du don dans l’altérité. Les apôtres sont envoyés vers toutes les nations, par cercles concentriques – vers Jérusalem, vers la Judée et la Samarie, vers le monde entier : mouvement horizontal du don dans l’égalité. A l’Annonciation, une personne de la Trinité était entrée dans notre monde, dans notre chair ; à l’Ascension, c’est notre chair qui monte aux cieux, c’est l’Incarnation qui se poursuit au plus près de la gloire du Père.

Le Christ précède toujours ses apôtres : à Jérusalem, puis en Galilée, puis au ciel. « Allez voir là-haut si j’y suis », leur dit-il en somme. Le voilà, le Christ total, dans son corps mystique qui est l’Église, déjà pleinement au ciel, et encore pleinement sur la terre.

Il y a quelque chose d’assez comique à la fin du récit de l’Ascension de Jésus. Les Apôtres le voient s’élever, il monte dans les airs, il disparaît, et… que faire ? A-t-on le droit de bouger, ou faut-il continuer à attendre ? C’est peut-être parce qu’ils sont bien élevés que les Apôtres restent là, le nez au ciel, sans oser partir ; un peu comme ces gens polis qui ne veulent jamais être les premiers à raccrocher à la fin d’une conversation téléphonique, et vous forcent à dire plusieurs fois « Au revoir », jusqu’à ce que l’un des deux, au bout de nombreuses secondes de silence, finissent par éteindre son téléphone. Heureusement que ces deux anges viennent abréger la gêne, et demander aux apôtres de rendre active leur espérance, et de se mettre au travail…

Chers Lola, Anaïs et Marc-Antoine, dans la première communion que vous allez recevoir, il y a aussi ce double mouvement : vers le ciel – « Élevons notre cœur ! » – et vers les autres – « Allez dans la paix du Christ. » Pour que le signe de la croix habite votre vie et en fasse une offrande d’amour, souvenez-vous que l’eucharistie est un don et une mission, une communion avec Dieu et les hommes, le moyen de réaliser en vous ce qui vous a été dit au jour de votre baptême : vivez de jour en jour au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.

Amen.

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