19 février 2023 – Septième Dimanche du Temps Ordinaire

Chers frères et sœurs,

C’est peu dire que vous êtes des gens polis. Vous avez les meilleures manières et vous connaissez toutes les formules. Et, lorsque vous écrivez un message à quelqu’un, vous êtes assez nombreux, je crois, à le terminer par cette brève formule : « En U.D.P. » U.D.P., ici, ne désigne ni l’Université Dominicaine de Palerme, ni l’Ulster Democratic Party, mais la formule « Union de prière ». Elle est devenue une signature habituelle de beaucoup de messages que je reçois et que moi-même j’envoie, et je dois avouer que, trop souvent, je l’emploie sans m’en rendre compte, comme une formule de politesse, une sorte de « Très cordialement » version catholique… Serait-ce cela, la prière ? Rien qu’une politesse spirituelle, une petite chose aimable que l’on s’envoie l’un à l’autre à tout bout de champ, sans y penser, et sans rien de plus ?

Depuis trois semaines, nous lisons le Sermon sur la Montagne, ce grand discours qui, au début de l’évangile selon saint Matthieu, inaugure le ministère public de Jésus, et qui souligne combien la vie chrétienne est un paradoxe permanent. Nous suivons Jésus pour de bonnes et de mauvaises raisons ; il a un art consommé de nous titiller sur nos plus mauvaises raisons. Au fond, nous demande-t-il, pourquoi désirons-nous la vie chrétienne : est-ce pour Dieu, ou bien pour nous-mêmes ? Ou, selon l’expression de l’évangile : quelle récompense attendez-vous, quelle récompense méritez-vous ? Bien souvent, nous désirons être récompensés de nos efforts, trouver une gratification, tirer de notre vie spirituelle un bien-être ou un épanouissement immédiat. Les influenceurs à la mode, les businessmen du spirituel l’ont bien compris : ils nous présentent la prière comme un exercice de méditation, un moyen d’être bien dans sa peau, d’envoyer des ondes positives, de ne pas se remettre en question et de nourrir son égo. On vous a dit cela ? Eh bien, moi, je vous le dis : cette prière satisfaite et autocentrée, ce n’est pas la prière chrétienne.

La prière n’est ni une politesse, ni une récompense. Elle n’est pas destinée à nous caresser dans le sens du poil, mais à nous rendre disponibles à l’initiative de Dieu dans notre vie, qui bien souvent vient contrecarrer nos plans et faire voler en éclats nos petits cercles, nos idées toutes faites. « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent. » Les influenceurs sont agréables à entendre, et Jésus est désagréable. Quant à nous, nous déployons une fascinante capacité à trouver des stratégies d’évitement, pour faire semblant de lui obéir. Alors, nous recherchons dans notre entourage le vieil ami avec lequel nous avons eu une légère dispute, nous lui envoyons un petit message aimable, avec « en UDP » à la fin, et nous faisons comme si nous nous étions vraiment réconciliés. Mais en réalité, nous n’étions pas ennemis ! C’est ainsi que, si souvent, nous faisons semblant d’obéir au commandement du Christ au moyen de simulacres de réconciliation, de peur d’avoir à réellement aimer ceux que nous détestons réellement.

Il y a un mois, vous ne l’avez pas oublié, une personne a saccagé l’église Saint Louis de Champagne. L’émotion a été grande, et les paroissiens, comme un seul homme, se sont admirablement mobilisés, ils ont nettoyé l’église, ils sont venus à la messe de réparation, ils ont été généreux, prévenants et solidaires. Mais je crois qu’il y a une chose qui a eu moins de succès. A plusieurs reprises, j’ai demandé à ce que l’on prie pour la personne qui a commis cet acte de profanation. Non pas parce qu’il a des excuses, mais parce qu’il en a besoin. Il me semblait essentiel de prier pour lui, cet « ennemi public numéro un » de la paroisse, non pas parce que nous l’aimions déjà, mais pour réussir à l’aimer. Certes, il a abîmé le sanctuaire paroissial… mais il est lui-même le sanctuaire de Dieu, comme le dit saint Paul ! Et il me semble que beaucoup de paroissiens se sont dits intérieurement : « D’accord, c’est promis, on ne va pas lui casser la figure… On va essayer d’oublier… mais l’aimer, faut pas exagérer ! » Et je crois que si ce pauvre homme venait à la sortie de la messe, et qu’il était identifié publiquement, il s’attirerait du mépris, voire pire.

L’avantage du Sermon sur la Montagne, c’est que l’on ne peut pas le lire pour faire la morale aux autres. Je ne connais personne, aucun fidèle, aucun prêtre, moi y compris, qui puisse dire qu’il a tout compris à l’amour des ennemis. Moi aussi, je n’y arrive pas. Et c’est précisément parce que je n’y arrive pas que je dois le recevoir comme un commandement, un appel à demander à Dieu la force d’aimer celui que, tout seul, je me complais à détester. La prière me fait toucher du doigt ma difficulté à aimer, pour passer de la désillusion à l’espérance.

Chers frères et sœurs, je vous le disais, vous êtes des gens polis. Mais au-delà de la politesse, je vous invite à désirer le polissage. Lorsque l’on veut adoucir des pierres taillées grossièrement, il ne faut pas les laisser seules : il faut les laisser se frotter les unes aux autres longtemps, jusqu’à ce qu’à force de s’entrechoquer, elles se soient transformées les unes grâce aux autres. Alors, garde ton ami près de toi, mais garde ton ennemi plus proche encore ! Car si tu ne te frottes pas à lui, tu ne risques pas de l’aimer. C’est là que la formule « En UDP » prend son sens : pour prier, il faut être pas seulement proche, mais être uni, c’est-à-dire au contact. C’est avec nos ennemis avant tout que nous devrions être en union de prière. Si vous acceptez de prier réellement pour vos ennemis réels, votre politesse se changera en polissage, votre prière deviendra ce qu’elle doit être, et vous serez véritablement UDP, Unis en Dieu le Père,

Amen.

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