2 Mai 2021. 5e Dimanche De Pâques

Chers frères et sœurs,

Chaque année, la vigne au printemps passe par une phase critique. Quand il a fait plus chaud au mois de mars, il est fréquent que le froid revienne en avril et que les vignobles grelottent. Toute la nuit, les vignerons, avec patience et persévérance, comme des sentinelles en temps de guerre, viennent dans les vignes allumer des bougies et des feux de paille humide, pour entourer les bourgeons d’une fumée qui les protège des basses températures. Cela fait, chaque année, des images splendides : on croirait voir dans le petit matin le bivouac d’armées napoléoniennes rangées pour la bataille. Cette année, ces nuits de combat ont pris un tour tragique pour bien des vignerons : en mars, la chaleur estivale avait fait pousser les bourgeons prématurément dans les vignes, et la violence du gel d’avril les a ravagés. Dans certains endroits, seule une toute petite quantité de bourgeons a survécu, et c’est sur ce petit reste que reposent les vendanges de cette année.

Dans l’image de ce qu’il appelle la « vraie vigne », Jésus parle précisément d’une sélection, d’un tri implacable qui a lieu. Parmi les sarments, certains sont attachés à la vigne, ils sont pleins de sève, pleins de vie ; et d’autres s’en détachent, et inexorablement ils se dessèchent, jusqu’à mourir. A ces deux logiques correspondent dans le Nouveau Testament deux itinéraires croisés, ceux de Judas et de Paul, deux histoires, celle d’un détachement et celle d’un attachement.

Si Judas n’apparaît qu’allusivement dans cet évangile, en revanche la première lecture nous présente saint Paul à un tournant dans sa vie. Peu de temps auparavant, il était encore Saul, ce pharisien acharné à supprimer les Chrétiens, de toutes les façons possibles, y compris par la persécution et l’assassinat. La fin justifiait les moyens. Sur le chemin de Damas, où il se rend pour une rafle, Jésus lui apparaît avec cette question : « Pourquoi me persécutes-tu ? » Et Saul, qui n’est pas bête, saisis ce que sous-entend cette question : entre le Christ et les Chrétiens, il y a un lien essentiel, organique. Par cette question, « le Seigneur exprime la communauté de destin qui dérive de l’intime communion de vie de son Église avec Lui, le Ressuscité. Il continue à vivre dans son Église en ce monde. Il est avec nous, et nous sommes avec Lui. » (Benoît XVI, homélie de la messe au Stade Olympique de Berlin, 22 septembre 2011) 

Et voilà Saul, devenu Paul, de retour à Jérusalem. C’est le même homme, mais sa vie a changé. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la situation est inconfortable, puisqu’il est devenu Chrétien. Selon les points de vue, c’est désormais un converti, ou un traître. Georges Clémenceau, qui avait le sens de la formule, disait qu’« un traître est celui qui quitte votre parti pour s’inscrire à un autre ; un converti, celui qui quitte l’autre parti pour s’inscrire au vôtre. » Paul est entre les deux camps : pour les Juifs, c’est un traître, un renégat, qui mérite la mort ; et pour les Chrétiens, c’est toujours le persécuteur, complice de la mort de leurs amis. Heureusement, il y a Barnabé, qui joue le rôle de médiateur entre Paul et l’Eglise, témoignant en faveur du premier, et invitant la seconde à dépasser sa peur et à renoncer à toute velléité de vengeance. Bien souvent, sans s’en rendre compte, les communautés chrétiennes ont du mal à faire de la place aux nouveaux-venus, spécialement aux convertis qui lui arrivent, et ceux-ci ont intérêt à être bien accrochés au Christ pour persévérer dans la foi ! 

Les itinéraires croisés de Paul, l’assassin devenu apôtre en s’attachant au Christ, et de Judas, l’apôtre devenu assassin en se détachant du Christ, éclairent l’allégorie de la vigne d’une lumière au moins aussi belle que les bougies allumées en avril au pied des ceps. Judas est un sarment que le gel du désespoir a tué ; Paul, un sarment sec que la parole de Dieu a greffé au pied de vigne, et en qui une vie nouvelle s’est mise à circuler. La parole de Dieu n’est pas seulement un discours, que l’on pourrait réduire à des concepts ou à des valeurs auxquels il suffirait d’adhérer, mais cette parole est vivante : elle nous émonde, nous taille et nous réchauffe, puisqu’elle est l’instrument par lequel le Père nous fait porter du fruit. 

Je suis, disait Jésus, la « vraie vigne ». En regardant les images de ces vignes illuminées dans la nuit et où les vignerons se battent contre le gel de toutes leurs forces, nous saisissons le sens de ces mots : la vigne véritable, c’est celle qui est vivante parce qu’elle est aimée. C’est celle pour laquelle le vigneron donne sa vie, et c’est celle qui donne la vie à ses sarments. C’est celle qui nous révèle que nous sommes le fruit de la vigne et du travail de Dieu !

Amen.

Accès rapides

Le denier

Newsletter

Recevez les dernières actualités et la feuille d'informations directement dans votre boîte mail.

🍪

Ce site utilise des cookies pour améliorer votre navigation.