22 août 2021. Vingt-et-Unième Dimanche du Temps Ordinaire

Chers frères et sœurs,

Je me suis efforcé, pendant la deuxième lecture, de rester concentré, et de ne pas balayer du regard l’assemblée. Si je l’avais fait, peut-être aurais-je des sourcils se froncer lorsque saint Paul dit : « Soyez soumis les uns aux autres ; les femmes, à leur mari, comme au Seigneur Jésus ; car, pour la femme, le mari est la tête… » Si j’avais tendu l’oreille, peut-être aurais-je surpris quelques murmures : « C’est pas permis d’entendre ça, au vingt-et-unième siècle… On se croirait au Moyen-Âge ! » Comme en écho à cette surprise devant un texte que d’aucuns trouveront inapproprié, Jésus se confronte lui aussi à un auditoire que son discours scandalise. Il s’est présenté à la foule comme le Pain vivant, descendu du ciel, la nouvelle manne, la nourriture d’éternité. Et parmi ses disciples, un vent de révolte gronde contre ce qui semble être un blasphème, une folie ; les sourcils se froncent, et en tendant l’oreille, l’on pourrait entendre : « C’est pas permis d’entendre ça, au premier siècle… On se croirait à Babylone ! » Jésus pourrait alors s’excuser, ou au moins s’expliquer, dire qu’il n’a pas voulu choquer, qu’il a été maladroit et qu’il en est bien désolé. Mais pas du tout, au contraire. Il ne fait rien pour retenir ceux de ses disciples qui, nombreux, s’en vont, découragés. Il demande même aux Douze s’ils veulent en faire autant : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Il ne les en empêchera pas. La réponse de Simon-Pierre, appuyée sur cette liberté, est alors d’autant plus forte : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. » Sous les apparences d’une certaine intransigeance, il y a quelque chose de plus fondamental qui se dévoile dans les textes de ce dimanche : c’est la relation vitale et organique du Christ à l’Eglise, et de l’Eglise au Christ. Quand le Christ assemble autour de lui les disciples, il ne le fait pas comme un gourou qui a besoin d’adeptes, le plus possible, pour lui obéir aveuglément et le rendre célèbre et surtout riche. Au contraire, Jésus tient à ses disciples un discours sur la dépossession et sur le sacrifice : il va vers sa croix, vers l’échec apparent, ne s’appartenant plus à lui-même. Difficile à avaler pour ceux qui se rêvent en maréchaux d’Empire : Jésus les a prévenus, et ils peuvent lui être reconnaissants de pouvoir partir vite vers d’autres ambitions. Mais pour les Douze, il en va différemment. Ils ne partent pas – alors même que, sans doute, le discours de Jésus les a choqué, ou au moins les a interloqués – tout simplement parce qu’ils ne peuvent pas, parce qu’ils n’ont pas le choix : ils sont liés à Jésus, envers et contre tout, à la vie, à la mort. Dans l’Eglise, on insiste souvent sur la place capitale de la liberté dans le choix que nous faisons de Dieu : un choix sans pression ni contrainte, autonome et adulte. Mais il me semble que l’on ne dit pas assez qu’être croyant, c’est aussi ne plus avoir le choix. Si Dieu est Dieu, nous ne pouvons faire autrement que de lui obéir. Si Jésus est le Christ, nous ne pouvons faire autrement que de le suivre. Parce que lui non plus n’a pas le choix : il ne peut faire autrement que de nous aimer. Et l’on en revient au propos pas très moderne, pas très tendance, pas très politically correct de la deuxième lecture : le Christ a aimé l’Eglise, il s’est livré pour elle, et elle en retour ne peut que lui obéir de toutes ses forces. La foi est une affaire de liberté personnelle mais aussi d’élection : « Personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. » La foi, c’est le choix de Dieu : le choix que, librement, je fais de Dieu, et le choix que, librement, Dieu fait de moi. Et ces deux choix nous engagent l’un envers l’autre indissolublement.« A qui irions-nous ? » Quand nous avons choisi Dieu qui nous a choisi, nous n’avons plus le choix. Il n’y a qu’un seul Christ. Il n’y a qu’une seule Eglise. Il n’y a pas de plan B, pas de solution alternative, pas d’itinéraire bis. Même quand l’Eglise nous peine, même quand le Pape nous énerve, même quand l’évêque nous déçoit, même quand le curé nous insupporte, même quand les paroissiens sont pénibles, il n’y a pas d’autre bercail, pas d’autre salut, il n’y a pas le choix. Nous sommes obligés de tenter de nous convertir, et d’essayer de nous aimer. Entre le Christ et l’Eglise, c’est de l’amour, c’est organique, c’est à la vie, à la mort. Ce mystère est grand, n’est-ce pas ? Non parce qu’il nous est incompréhensible, mais parce qu’il faut une vie pour commencer à le comprendre, et une éternité pour y parvenir. Comme une épouse parée pour son époux, allons à la rencontre du Christ, lui en qui se trouvent les vraies joies ! Amen.

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