22 janvier 2023 – Troisième Dimanche du Temps Ordinaire

Chers frères et sœurs,

Au cours de la messe, à la fin de chaque lecture, le lecteur fait une pause d’une seconde, puis il dit : « Parole du Seigneur », ou, pour l’évangile : « Acclamons la Parole de Dieu » ; et vous, comme un seul homme, vous répondez, respectivement : « Nous rendons grâces à Dieu », et « Louange à toi, Seigneur Jésus. » C’est réglé comme du papier à musique ; mais mesurez-vous bien la portée de ce que vous dites ? Chaque lecture, de fait, est encadrée par deux balises : la première, avant le texte indique son auteur humain – ici Isaïe, saint Paul, saint Matthieu – et la seconde, après le texte, son auteur divin. Car l’Église croit en l’Inspiration des Écritures : l’Esprit Saint a choisi des hommes, les a appelés, soutenus, éclairés, inspirés, pour qu’ils écrivent ces textes, dans le plein usage de leurs facultés, de leur style, de leur intelligence. Nous croyons que la Parole que la Bible contient – et elle seule – est à la fois, authentiquement, l’œuvre d’un grand nombre d’hommes et l’œuvre de Dieu.

Comme l’Incarnation, la doctrine de l’inspiration des Écritures est une réalité subtile, une question d’équilibre : il s’en faut de peu pour pencher – et tomber – d’un côté ou de l’autre. Si on voit trop peu l’action de Dieu, et surtout l’action de l’homme, alors les textes de la Bible deviennent des beaux textes, mais qui n’ont pas plus d’autorité que les autres… et ce n’est pas très catholique. Si l’on voit trop peu l’action de l’homme et surtout l’action de Dieu, alors les auteurs des livres de la Bible deviennent des gratte-papiers qui écrivent sous la dictée de Dieu, en perdant au passage leur liberté et leur personnalité… et ce n’est pas non plus très catholique. Bien comprendre l’Inspiration des Écritures suppose d’avoir un sens de l’équilibre digne d’un flamant rose !

A l’église Saint-Louis des Français de Rome, où j’ai passé trois belles années de ma vie, se trouvent trois grands tableaux du Caravage, consacrés à saint Matthieu. Le deuxième tableau, qui le représente en train d’écrire son évangile, a une histoire singulière. Le Caravage avait réalisé une première version de ce tableau : on y voyait saint Matthieu, assis confortablement, avec la plume à la main, et un ange qui lui tenait le poignet tandis qu’il écrivait. Le commanditaire, qui était bon théologien, avait tiqué : l’œuvre était magnifique, mais… pas très catholique. Le Caravage se remit à ses pinceaux, et la deuxième version fut la bonne. Matthieu est dans une posture inconfortable : comme si, mû par une inspiration soudaine, un éclair de génie, il s’était jeté à sa table sans prendre même le temps de s’asseoir, pour écrire ce qu’il venait de comprendre. La plume à la main, il s’apprête à écrire ; attentif, il tourne la tête vers l’ange qui lui parle. Sa posture est étrange : le pied droit est posé à terre, tandis que le gauche est plié sur un tabouret lui-même à moitié dans le vide. On dirait, là encore, un flamant rose : tout le corps en désordre, mais tendu vers l’harmonie qu’il essaye de saisir.

Quand vient l’automne, les flamants roses qui migrent d’Europe vers la chaleur de l’Afrique font souvent étape en Israël, et il n’est pas rare d’en croiser au bord de la Mer de Galilée. L’histoire ne dit pas s’il y en avait sur la route du rivage, à Capharnaüm-sur-Mer, le jour où Jésus appela ses premiers disciples. Mais ces derniers ont été, eux aussi, appelés à un nouvel équilibre de vie : comme l’éclair, Jésus a fondu sur eux, et sa Parole a été puissante au point qu’en un instant ils ont tout quitté pour le suivre, sans savoir ce qu’il se passerait pour eux ni ce jour-là, ni les années suivantes. Le propre de la Parole de Dieu est à la fois d’inspirer et de rééquilibrer : elle ne dit pas tout de l’avenir, mais elle donne l’énergie suffisante pour aller de l’avant, avec joie, dans la paix.

Saint Matthieu ajoute que Jésus proclamait « l’évangile du Royaume » : ce n’est pas là le titre d’un cinquième évangile, mais c’est tout l’évangile, tel qu’il existe originellement dans la bouche de Jésus, et dont les quatre évangiles ont été ensuite, chacun avec son génie propre, la transcription écrite. L’inspiration a permis aux quatre évangélistes de transformer l’évangile du Royaume en quatre textes, unis et distincts, afin qu’à chaque fois où ces textes sont proclamés et écoutés, ils redeviennent l’évangile du Royaume, ce Royaume qui est là, tout proche.

L’inspiration des Écritures, bien comprise, suppose de notre part une attitude équilibrée, une attitude de flamant rose. Comme pour saint Matthieu, cela dépend vraiment de Dieu – il faut donc être disponible – et cela dépend vraiment de nous – il faut donc se mettre au travail. Il en va ainsi de l’Unité des Chrétiens, pour laquelle nous prions plus particulièrement cette semaine. Il y aura soixante-dix ans cette année, le 24 mars 1953, mourrait l’Abbé Paul Couturier, prêtre lyonnais, pionnier de cette prière, et qui insistait sur la nécessité de mettre le Christ au centre : c’est vers lui que, Chrétiens de toutes sortes et de tous styles, nous pourrons converger, et c’est de lui, que viendra l’unité, « telle qu’il la veut, par les moyens qu’il veut. » Qu’il nous rassemble, flamants roses éparpillés au rivage de Sa Parole, sur le chemin de Son Royaume !

Amen.

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