25 février 2024 – Deuxième dimanche de Carême

Chers frères et sœurs,

Ça monte et ça descend, ça remonte et ça redescend, et on recommence. Les Américains les appellent des roller-coaster » ; les Russes, des « montagnes américaines » ; et nous, des « montagnes russes », ou des « grand huit ». Cette attraction de fête foraine, à éviter quand on a le ventre plein (ou bien, à mon avis, à éviter tout court) s’entend aussi métaphoriquement : s’il y a des montagnes russes matérielles, qui donnent des sensations fortes d’excitation, de peur et de nausée, il existe aussi des montagnes russes émotionnelles, et même, des montagnes russes spirituelles.

Si la vie de certains croyants est aussi tranquille que le Mékong, il en est d’autres qui s’agitent comme un yo-yo, allant de l’extrême joie à l’extrême angoisse, et inversement. Celui qui passe par ces montagnes russes spirituelles a le droit de se demander, à la fin, où Dieu veut en venir avec lui, si c’est bien lui qui mène la danse… Ainsi le pauvre Abraham. Au début de la Genèse, c’est un homme résigné à ne plus rien attendre de la vie. Et voilà que Dieu, à l’improviste, vient lui donner tout : la promesse non seulement d’une terre, mais surtout celle d’une descendance, « aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que les grains de sable sur le bord de la mer ». Or, le même Dieu qui a montré sa providence semble la reprendre, sans non plus crier gare : son fils chéri, son fils unique, Isaac, Dieu en demande qle sacrifice. Du moins, c’est ainsi qu’Abraham comprend le message.

Il semble en effet que, pour une part, le récit de la Genèse soit l’histoire d’un malentendu. Dieu dit quelque chose, Abraham en comprend une autre. La traduction liturgique dit : « Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en holocauste sur la montagne que je t’indiquerai. » Mais le verbe « offrir en holocauste » n’est pas clair. Littéralement, le texte hébreu dit : « Élève-le en élévation », ou « Fais le monter en montée ». Or, comme un sacrifice d’animal se termine par le feu qui consume le corps et dont la fumée grimpe vers le ciel, Abraham comprend que Dieu lui a dit, par cette métaphore, de tuer son fils et de brûler son corps, au Nom de Dieu.

Autrement dit, faut-il interpréter la Parole de Dieu au premier ou au second degré ? Littéralement ou métaphoriquement ? En Français, il y a peu de risque de quiproquo sur le verbe ‘monter’ ; en revanche, il peut y en avoir un, sérieux, sur le verbe ‘descendre’. Au sens propre, descendre, c’est mener quelqu’un ou quelque chose du niveau supérieur au niveau inférieur ; au sens figuré, c’est l’assassiner. Ce quiproquo se trouve d’ailleurs au centre de l’intrigue d’un film, L’Honneur d’un capitaine, de Pierre Schœndoerffer, sorti en 1982. Pendant la Guerre d’Algérie, des échauffourées se produisent, dans la montagne, entre un bataillon de soldats français, sous les ordres du Capitaine Caron, et des fellaghas. L’un d’eux est capturé sur les hauteurs, et le soldat qui l’a arrêté demande par radio au Capitaine, dont le PC est installé dans le village en contrebas, ce qu’il faut faire de lui. Le Capitaine, qui veut qu’il lui soit amené, dit : « Descendez le prisonnier. » ; et le soldat comprend qu’il doit le tuer, ce qui est fait aussitôt, d’un coup de mitraillette. Tragique malentendu, dans lequel le sens premier, celui d’un mouvement de descente du haut vers le bas, est interprété métaphoriquement, et aboutit à un massacre.

Le sacrifice d’Isaac, évité de justesse, ne serait-il que le récit d’un malentendu qui a failli être tragique ? Abraham serait-il un petit soldat qui n’ose ni contester l’ordre injuste de Dieu, ni demander de s’en faire préciser le sens ? Mais Dieu n’est pas en guerre avec les hommes : il veut leur bénédiction, pas leur défaite. Abraham a fait l’expérience de la bonté de Dieu dans des proportions telles qu’il ne peut pas croire que celui-ci lui veuille du mal. Dans ce qu’il ne comprend pas, il compte sur Dieu, sûr qu’à la fin, sa bonté triomphera. Contrairement à nous qui pouvons lire ce texte comme un grand-huit émotionnel et spirituel, scandalisés par les revirements de Dieu, Abraham met son honneur à vivre tout cela d’un cœur paisible et confiant. Si Dieu est pour lui, qui serait contre lui ?

Les apôtres ne peuvent pas en dire autant. Leur cœur ne cesse de chavirer devant les surprises que la Transfiguration leur réserve. Et pourtant, il y a moins matière à traumatisme que dans la Genèse… Leur capitaine leur parle un langage qu’ils ne peuvent pas encore comprendre, celui de la croix et de la gloire, qui sont indissociables. Il les invite à faire provision de lumière, pour que celle-ci les accompagne et les éclaire dans les ténèbres à venir. Croire et comprendre ne sont pas deux antagonistes, mais les éléments d’un mouvement perpétuel : il faut croire pour comprendre, afin de comprendre pour croire, et ainsi de suite, infiniment…

Le Dieu vers lequel le carême entend nous mener n’a pas juré notre perte, mais notre salut. Sa bonté nous a été donnée, et comme Isaac, nous ne sommes pas destinés à être sacrifiés, comme de la chair à canon, mais à être sanctifiés, pour devenir le don de Dieu. Que Dieu, qui nous a déjà bien élevés, nous mène encore de hauteur en hauteur, jusqu’à lui.

Amen.

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