26 mai 2022

Chers frères et sœurs,

Quand le premier livre d’un écrivain s’est bien vendu, son éditeur se frotte les mains, débouche le champagne et réclame la suite de l’histoire. Quand un film a fait beaucoup d’entrées, son producteur se frotte les mains, allume un cigare et demande le scénario du film suivant, avec le même titre, suivi du chiffre 2. Et l’auteur, tout en se réjouissant, s’interroge : que faire ? Faut-il accepter le succès facile en reproduisant une recette qui a plu, ou bien rechercher le risque en racontant une histoire différente ? « La suite », au fond, qu’est-ce que c’est ? La même histoire, ou bien une autre histoire ?

J’en conviens, lorsque saint Luc a pris la plume, il y a dix-neuf siècles et demi, il n’avait pas ni éditeur, ni producteur, ni plan de marketing… mais il avait derrière lui une communauté, ce qui est au moins aussi important. Cette communauté, pour qui il écrit et qu’il désigne symboliquement sous le prénom de Théophile, « l’ami de Dieu », lui demandait un récit complet et fiable de son évènement fondateur : la rencontre avec Jésus-Christ. Or Luc en vient à rédiger non pas un, mais deux livres, et, au milieu, à la charnière, il place l’Ascension. Aussi, la particularité de la liturgie de ce Jeudi, c’est que nous avons entendu deux fois la même histoire, l’Ascension étant à la fois la conclusion du premier livre, l’évangile, et l’introduction du second, les Actes des Apôtres, de façon à unifier les deux textes, à désigner le second comme la suite du premier.

Saint Luc est un écrivain qui prend un très gros risque : dans la suite qu’il écrit, il commence par supprimer son héros ! Si Jésus était la principale raison du succès du premier tome, qui va lire le second dans la mesure où il n’est plus là ? Et de fait, je ne suis pas sûr que tous les Chrétiens tiennent le livre des Actes des Apôtres pour aussi important que l’évangile. Et pourtant, il l’est vraiment. Car ce tome 2 ne raconte pas l’histoire de l’Église après le Christ et sans lui, mais l’histoire de l’Église qui découvre qu’elle est le Corps du Christ. Luc avait commencé son évangile par le récit de l’Incarnation, le mystère de Dieu devenu homme. Or, dans l’Ascension, ce n’est pas le contraire qui se passe. L’Ascension n’est pas la fin de l’Incarnation ; et Jésus n’est pas un comédien qui, ayant fini de jouer, sortirait de scène en laissant tomber son déguisement. Homme, il l’est pour toujours, et lorsqu’il monte s’asseoir à la droite du Père, c’est aussi son humanité, donc la nôtre, qui déjà monte au ciel. Désormais, le Corps du Christ, pleinement Dieu et pleinement homme, est étendu à la mesure de la Création : nous en sommes les pieds, posés sur terre, et lui, il en est la Tête, au plus haut du ciel.

Dans la liturgie de la messe, un rite en particulier éclaire ce mystère de l’Ascension et de l’Incarnation. Un tout petit rite, dont personne n’entend les paroles, à part un ou deux enfants de chœur, puisqu’il est prévu que le prêtre les dise à voix basse. Pendant l’offertoire, après avoir versé le vin dans le calice, il ajoute une goutte d’eau, en disant : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité. » Ce petit geste, qui pourrait sembler anodin, souligne le lien entre l’Incarnation et l’Ascension. Le Christ est devenu homme pour que nous soyons divinisés, unis à lui pour toujours. Voilà bien le message des Actes des Apôtres : si le Christ n’est plus visible physiquement parmi nous, il est bien vivant, et c’est en nous, dans notre vie, dans notre foi, que se passe la suite de son Incarnation !

Pour toutes ces raisons, il me semble très beau et très significatif ce matin de célébrer ces deux baptêmes au milieu de la messe de l’Ascension. Jésus, au début des Actes des Apôtres, évoque le baptême d’eau et d’Esprit-Saint, et la lettre aux Hébreux nous invite à vivre « le cœur purifié de ce qui souille notre conscience, le corps lavé par une eau pure. » Une vie nouvelle à la suite du Christ. De plus, Hortense et Sibylle vont être baptisées par immersion, ce qui souligne encore mieux la verticalité : elles vont être plongées dans la cuve baptismale, avant d’en ressortir par le haut : bref, elles vont vivre en raccourci leur propre Ascension.

Si l’évangile selon saint Luc est le tome 1, et les Actes des Apôtres le tome 2, vous aurez remarqué qu’il n’y a pas de tome 3. Ce n’est pas simplement à la mort de saint Luc. C’est surtout parce que les Actes des Apôtres sont par nature un livre inachevé, qui a un début – l’Ascension – mais pas encore de fin. Chaque génération de Chrétiens a son propre chapitre à écrire. D’ici à ce que Sybille et Hortense soient capables de tenir la plume, c’est à vous, chers parents, parrains et marraines, que revient la mission de commencer à rédiger le récit des aventures de Dieu dans leur vie. Dans le baptême, il leur donne une force pour tout de suite, et une promesse pour l’avenir. Au moyen d’un peu d’eau et de beaucoup d’Esprit-Saint, Hortense et Sybille vont être unies à la divinité de celui qui a pris notre humanité. Qu’elles deviennent elles-mêmes sacrement de l’alliance nouvelle !

Amen.

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