26 mars 2023 – Cinquième Dimanche du Carême

Chers frères et sœurs,

La torture par l’espérance : c’est le titre d’une nouvelle de Villiers de l’Isle-Adam, initiateur au début du dix-neuvième siècle du symbolisme. Y a-t-il pire cruauté que de faire naître dans le cœur d’un homme un espoir immense, pour mieux l’anéantir ensuite ? La torture par l’espérance, c’est par exemple cet épisode fameux de la bataille de Waterloo, où Napoléon, à bout de forces, voit au loin un nuage de fumée, et se réjouit de ce que les renforts, enfin, viennent à son secours.

« Soudain, joyeux, il dit : Grouchy ! C’était Blücher.

L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme. »

La torture par l’espérance, c’est ce que Marie et Marthe expérimentent, le cœur gonflé puis le cœur brisé. Avec leur frère Lazare, ces trois-là étaient inséparables de Jésus de Nazareth, amis à la vie, à la mort. Combien de fois avait-il été reçu dans leur confortable maison à Béthanie, cette banlieue élégante de Jérusalem. Comme de véritables amis, ils n’attendaient rien en retour, mais, c’est bien connu, l’amitié crée naturellement la réciprocité. Ils savaient bien que Jésus serait toujours là pour eux, quand il le faudrait. Aussi, l’annonce de la maladie de Lazare crée chez les deux sœurs un espoir qui se transforme en espérance : plus le diagnostic devient sévère, plus sûrement elles anticipent la guérison. Il suffira d’un geste, d’un mot, d’une prière, pour que Jésus sauve Lazare.

La torture par l’espérance, c’est donc cette incompréhensible procrastination de Jésus. Il laisse les deux sœurs à leur angoisse, il traîne au lieu de se dépêcher. Il n’accède pas à leur requête, il ne s’en explique pas, il s’en réjouit même. Et l’on s’étonne presque de ce que, dans la bouche de Marthe et de Marie, il n’y ait pas plus de reproche, pas plus de déception, pas plus de colère, quand Jésus, arrive, longtemps après la bataille.

Jésus ne donne pas d’excuses ni d’explications à son étrange comportement. Il ne dit pas pourquoi il agit ainsi, mais il dit pour quoi. Il y a une nécessité à laisser la mort faire son œuvre, pour manifester la gloire de Dieu. De même que Jésus ne cesse de dire à ses disciples la nécessité qu’il y a pour lui d’aller au-devant de sa Passion. Pierre et les autres ont d’ailleurs la même attitude que Marthe et Marie : si Jésus le voulait vraiment, il aurait une autre solution. Il pourrait facilement battre les Romains, vaincre les Grands Prêtres et les pharisiens, bref, éviter la croix, se sauver, et nous avec. Pourquoi ne le prouve-t-il pas, puisqu’il le peut ? Cela ne vous rappelle-t-il pas un vieux refrain, entendu au tout début du carême : « Si tu es le Fils de Dieu », montre-le ! A vrai dire, depuis le début, c’est Jésus qui est torturé par l’espérance de ceux qu’ils rencontrent, et qui rêvent tant d’un monde sans souffrance, d’une gloire sans la croix… D’un bout à l’autre de l’évangile, Jésus est soumis à l’interminable torture des « si ».

Jésus ne vient ni empêcher ni expliquer la mort de Lazare, il vient l’affronter. En Lazare, il voit une icône de sa propre vie, de sa future torture, et de sa propre espérance. Alors, peu à peu, il se rapproche de la mort. Il la regarde d’abord de loin, à distance ; puis à travers Marthe, puis Marie ; enfin, il vient la regarder en face, dans tout ce qu’elle a de brutal, de dégoûtant, d’horrible. La mort dont il est question dans cet évangile n’est pas une mort hygiénique et théorique, dont on peut parler avec détachement. C’est la vraie mort, dans tout ce qu’elle a de réaliste, la mort qu’il faut regarder en face. S’il le faut, c’est pour mieux entendre aussi le réalisme de la déclaration de Jésus : « Je suis la Résurrection et la Vie. »

Si nous regardons en vérité ce qui nous tue, notre torture, regardons en vérité ce qui nous sauve, notre espérance. Car la Résurrection et la Vie ne sont pas deux théories bizarres, deux concepts philosophiques pour illuminés, deux idées déraisonnables et indémontrables. La Résurrection et la Vie sont quelqu’un, qui nous aime, qui nous secoue, qui s’adresse personnellement à chacun de nous. Le Maître est là, et il t’appelle : viens dehors, à sa rencontre ! Il y a une nécessité à passer par la mort, non pas à côté d’elle, mais à travers elle, pour aller au-delà. Ainsi la mort peut-elle ne pas conduire à la mort, mais mener à la Gloire de Dieu.

Chers frères et sœurs, le temps est court, mais il nous dépasse. Et quand c’est manifestement trop tard, ce n’est pas encore trop tard pour Dieu. Il faut, à la fin du Carême, lui parler cash. Présentons-lui, avec la même amitié et la même vérité que Marthe et Marie, toutes nos attentes déçues, toutes nos prières inabouties, toutes nos espérances torturées, demandons-lui de sécher nos larmes et de marcher avec nous vers la croix, vers la résurrection, vers la Vie.

Amen.

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