26 novembre – Dimanche du Christ-Roi de l’univers

Chers frères et sœurs,

Aimez-vous les surprises ? C’est par cette question que j’avais prévu de commencer l’homélie de ce dimanche. Elle était écrite, toute prête, et sans surprise. Or, en allumant la radio ce matin, j’ai appris comme la plupart d’entre vous la nouvelle de la mort, hier soir, de Gérard Collomb, qui fut longtemps le maire de Lyon. Après quelques éléments biographiques, le journaliste a cité une phrase que Gérard Collomb avait prononcée il y a cinq ans, au moment où il quittait ses fonctions au ministère de l’intérieur : « Aujourd’hui, nous vivons côte à côte ; je crains que demain, ce soit face à face. » Cette phrase m’a frappée. Dans son contexte originel, elle commentait avec inquiétude la situation de crise qui traverse la société française ; mais, prise hors contexte, elle m’est apparue comme un résumé plein d’espérance de cette fête du Christ-Roi : aujourd’hui, avec Dieu, nous vivons côte-à-côte ; demain, ce sera face-à-face.

Cet évangile du Jugement dernier constitue le dernier grand discours de Jésus chez saint Matthieu, à la veille de sa Passion. Il y parle du jour de son retour dans la gloire, après l’épreuve et la mort, et il évoque le temps qui va se dérouler dans l’intervalle. Il connaît le caractère volontariste de ses disciples qui, quand Jésus ne sera plus physiquement là, seront tentés de se rêver aux commandes de leur vie : ils se disent qu’ils sauront toujours ce qui est bien, ce qui est mal, qu’ils maîtriseront ce qui leur arrivera, qu’ils sont lucides et attentifs sur le monde qui les entourent… Jésus s’en amuse et c’est à leur intention, je crois, qu’il insiste autant, dans son récit, sur la surprise et la méconnaissance.

Vous imaginiez le Jugement dernier serait comme une facture qui vous sera présentée, et dont vous pourrez vérifier les calculs pour voir s’ils sont bons ? Raté ! Le Jugement dernier ressemble plutôt à un grand coup de théâtre final, digne du dernier chapitre des meilleurs Agatha Christie. Vous pensiez savoir où était Dieu, et voilà que vous êtes passés mille fois à côté de lui sans le voir. Vous étiez persuadé qu’il était loin ? En réalité, il était tout proche. Vous pensiez le connaître, le tenir, le posséder ? Eh bien, il n’a pas cessé de vous échapper. Vous avez vécu l’un et l’autre côte à côte, en vous rencontrant sans cesse, mais vous ne l’avez pas reconnu ; comme se douter que Dieu était ce bon-à-rien qui vous cassait les oreilles en vous demandant de l’aide. Étonnant, n’est-ce pas ?

A la fin de l’histoire des hommes, il y aura donc un face-à-face, parce que cette longue histoire a commencé par un côte-à-côte, au sens littéral. Dans la Genèse, à la fin de la Création, Dieu constate qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul : dans la solitude, il se perd, puisqu’il a été créé à l’image de Dieu et que, comme lui, il est un être de relation, qui trouve son bonheur en se donnant. Aussi Dieu créé-t-il à l’homme un alter ego, la chair de sa chair, et le texte précise qu’Ève, la vivante, est née de la côte d’Adam. Cette image un peu étrange trouve une explication dans cet évangile : le côte à côte est la condition de notre vie quotidienne ; notre salut n’est pas dans l’égoïsme et la protection jalouse de ce qui nous rassure, mais dans le regard posé sur le prochain, celui dont la côte touche la nôtre. Le cri de surprise de chacun, quand Dieu se révèle à eux, est le même : « Quand t’avons-nous vu ? » Et de fait, c’est difficile de voir celui qui est à côté de nous, sans risquer le torticolis. Il faut pour cela un retournement de tout le corps, de tout l’être – littéralement, une conversion – pour que la rencontre s’opère.

Il y a un autre texte de la Parole de Dieu que le Jugement Dernier vient accomplir, et celui-ci, nous l’avons entendu au début de ce mois, le jour de la Toussaint. Les Béatitudes sont chez saint Matthieu comme le porche d’entrée de son évangile, dont le Jugement dernier est le porche de sortie : il n’est pas étonnant qu’ils soient symétriques. Dans les Béatitudes, le Christ regarde ses disciples aux prises avec les espérances, les combats et les pauvretés du présent, et il leur promet le bonheur dans le futur ; dans le Jugement dernier, comme dans un miroir, Jésus est déjà dans le futur, et il donne à ses frères de se souvenir de la place que l’amour gratuit a occupé dans leur vie. L’un ne va pas sans l’autre, comme ces parchemins du Secret de la Licorne que Tintin doit superposer pour obtenir le message complet, et la clef pour retrouver le trésor caché… Les Béatitudes et le Jugement dernier sont deux discours qui, côte à côte, nous donnent la clef du face-à-face.

Dieu veut notre bonheur : il le répète dans les Béatitudes, et il insiste encore dans cet évangile. Plutôt que de craindre le face-à-face final avec lui, commençons par écouter l’appel du Christ à vivre pleinement, vivement et joyeusement le moment présent, en sachant que nous ne le reconnaîtrons pas toujours – il est vraiment un champion toutes catégories quand il s’agit de passer incognito ! – mais que, par délicatesse, il nous fera de temps en temps la grâce de se laisser entrevoir dans le bonheur de quelques face-à-face ici-bas. Vivre le présent est la clef de la béatitude à laquelle le Roi de la vie nous appelle, de surprise en surprise, dans l’espérance du jour qui vient : « Nous voyons actuellement de manière confuse, comme dans un miroir ; ce jour-là, nous verrons face à face. » (1Co 13, 12)

Amen.

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