27 juin 2021. Treizième dimanche du Temps Ordinaire

Chers frères et sœurs,

« Qu’il y ait de l’abondance dans votre don généreux ! » La liturgie a bien écouté la recommandation de saint Paul, et, généreusement, elle vous offre deux évangiles pour le prix d’un ; ou plutôt, voici qu’à l’intérieur de l’histoire principale racontée par l’évangile de ce dimanche – la résurrection de la fille de Jaïre – se trouve comme enchâssée une seconde histoire – la guérison de la femme qui souffrait de pertes de sang. Et ce n’est pas par hasard si ces deux récits ne sont pas rapportés l’un après l’autre (ce qui aurait été plus logique et plus simple), mais bien l’un au milieu de l’autre. 

La ponctualité, disait Louis XVIII, est la politesse des rois. Arriver à l’heure exacte est une marque de savoir-vivre qui est toujours appréciable (à la messe par exemple), et parfois même vitale : le jour où un incendie se déclarera chez vous, vous apprécierez d’autant plus l’exactitude des pompiers que vous aurez appelés. Lorsque Jaïre se présente devant Jésus, tout chez lui exprime l’appel au secours et l’urgence absolue : sa fille, dit-il, est « à la dernière extrémité », et Jésus est sa dernière chance, son dernier espoir. Sa venue est une question de vie ou de mort, et les minutes, les secondes mêmes, sont comptées. 

Imaginez donc la tête que doit faire Jaïre dans un premier temps, quelques instants plus tard, quand il voit Jésus s’arrêter et chercher dans la foule qui l’a touché, puis se mettre à discuter avec cette femme inconnue ; et dans un second temps, quand on vient lui annoncer que sa fille vient de mourir. Saint Marc ne souligne pas son désarroi, mais nous pouvons le supposer, ni sa colère, mais nous pouvons nous la représenter. Jaïre ressemble à tous ceux – y compris parmi nous – qui ont vécu un drame dans leur vie et qui se repassent le fil des évènements, en cherchant une alternative qui n’a pas eu lieu : Ah, si seulement Jésus avait été plus rapide… S’il ne s’était pas arrêté… S’il cette femme ne l’avait pas touché.… Si seulement ! Enfin, figurez-vous sa réaction en entendant les mots de Jésus : « L’enfant n’est pas morte : elle dort. » Je ne suis pas étonné que les moqueries et les ricanements fusent devant ces propos a priori si décalés, si désinvoltes. 

Pourquoi donc Jésus s’est-il donc arrêté en route ? La femme qui l’a touché dans la foule souffrait depuis si longtemps : n’aurait-elle pas pu attendre une heure de plus ? Et si elle était guérie, quel besoin avait Jésus de perdre ces précieuses minutes à causer avec elle ? L’écrivain André Maurois, dont la maman (je suppose) avait dû lui répéter cent fois que la ponctualité était la politesse des rois quand il n’était pas à l’heure pour le souper, répliquait que le retard est la politesse des artistes. Si le Christ est Roi, il est aussi l’Artiste par excellence, le Créateur dont nous sommes le chef d’œuvre et qui ne ménage pas sa peine pour retoucher les accidents dont nous sommes parfois les victimes. En prenant le temps qu’il lui faut, Jésus montre qu’il est le maître du temps, et qu’il n’est jamais trop tard, même pour la petite fille que tout le monde croit perdue pour de bon. 

C’est aussi parce qu’il est le maître du temps que Jésus a besoin de temps, et qu’il prend son temps. A ses yeux, chacune de nos vies est également précieuse, et chacun de nos appels est également urgent. Mais il se refuse à sauver le monde au galop. Il a besoin de ce temps pour que le salut soit toujours vécu comme une rencontre personnelle, parce que c’est de foi qu’il s’agit, et que la foi ne s’exprime que dans la rencontre d’une personne avec une autre personne.

Saint Marc précise combien la foule compacte encercle Jésus et l’écrase, et cela me faisait penser à cette scène fameuse du voyage de Jacques Chirac (un autre J.C.) à Jérusalem, en octobre 1996, et où, dans la Vieille Ville, il s’était énervé contre les services de sécurité israéliens qui voulaient le tenir à distance de la population très tactile et très nombreuse… “This is not a method, this is provocation!” s’était emporté le Président avec son plus bel accent. Me permettez-vous de le dire ? Je crois que pour Jésus aussi, this is provocation. Jésus sait qu’il prend un temps précieux, et qu’à vues humaines, il va peut-être arriver trop tard au chevet de la petite fille. En faisant passer Jaïre par cet ascenseur émotionnel, d’espoir en déception, de peine en surprise, il l’invite à la foi qui n’est pas qu’une croyance, à l’espérance qui n’est pas qu’un espoir, au salut qui n’est pas qu’un sauvetage. Il provoque en lui un désir de vie plus grand que celui dont il se savait capable. 

Ces deux histoires ont été habilement disposées l’une au cœur de l’autre pour nous indiquer que nos vies ne sont pas juxtaposées, les unes à côté des autres, mais interconnectées. La résurrection de la fille de Jaïre et la guérison de la femme hémorroïse sont l’avers et le revers d’une seule et même histoire : l’amour de Dieu pour nous qui sommes pleins de la vie qu’il nous a donnée pour de bon. Chers Eva et Malo, vous ne vous connaissez pas, vous avez des âges bien différents – douze ans de différence, n’est-ce pas étonnant ? – et comme dans l’évangile vous êtes rassemblés ce matin par le Christ, qui va vous donner par le sacrement du baptême la grâce d’une vie nouvelle. Dans l’évangile, la petite fille et la femme sont devenues ce jour-là comme mère et fille spirituelles ; aujourd’hui, vous devenez en quelque sorte frère et sœur spirituels, appelés ensemble à vivre avec Jésus, à vous lever pour le suivre. C’est votre commune vocation… c’est votre commune provocation !Amen.

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