28 mars 2024 – Jeudi Saint – Célébration de la Cène du Seigneur

Chers frères et sœurs,

« De quoi sont les pieds du fantassin ? » Il y a un siècle, cette étrange question était posée tous les jours, rituellement, aux jeunes recrues de l’Armée française, par l’adjudant préposé à leur formation. Et, comme un seul homme, les soldats devaient répondre : « Les pieds du fantassin sont l’objet de soins attentifs et constants. » Et gare à celui qui ne prenait pas soin de ses chaussures, ou de leur contenu ! C’est que les fantassins, ces soldats à pied, devaient être prêts, en toutes circonstances, à faire les très nombreux kilomètres quotidiens et à se tenir debout, solides à l’entraînement, solides au poste de garde, solides face à l’ennemi. Leurs pieds étaient donc des outils indispensables.

Dans la Bible aussi, les pieds sont des éléments vitaux pour le corps humain, spécialement lorsqu’il s’agit d’avancer. Pas d’Exode, pas de traversée de la Mer Rouge et du désert, pas de quête de la Terre Promise, sans pieds en bon état de marche. Puis Israël, au terme de tant de tribulations, a fini par s’installer dans son pays : il y a trouvé le repos, le confort ; il est passé du nomadisme à la sédentarité, il est aussi devenu quelque peu casanier. À quoi servent les pieds quand il n’est plus nécessaire de s’en servir ?

Or, les pieds, dans la Bible, ne sont pas seulement pratiques, ils ont aussi une fonction prophétique. Ils soulèvent tout le reste du corps et lui interdisent de s’encroûter sur place. Ils sont si importants à la vie spirituelle que le prophète Isaïe leur consacre une tirade pleine de lyrisme : « Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pieds du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut, et vient dire à Sion : Il règne, ton Dieu ! » (Is 52, 7) Cette « hymne des pieds », je me prends à imaginer que Jésus l’a chantée, ou au moins murmurée, en lavant les pieds de ses disciples, les uns après les autres.

Ainsi, ce n’est pas seulement en signe d’hospitalité et d’humilité que Jésus lave les pieds de ses disciples, mais bien comme un geste prophétique, un geste d’envoi en mission. Ces pieds-là, que Jésus traite avec tant d’attention, sont ceux qui, quelques heures plus tard, vont permettre aux disciples terrorisés de s’enfuir, abandonnant Jésus à l’injustice et à la mort. Ce sont ces pieds qui reviendront, sur la pointe d’eux-mêmes, au tombeau vide le matin de Pâques. Ce sont ces pieds encore qui vont suivre le ressuscité pendant quarante jours, et je trouve significatif que le jour de l’Ascension, la dernière chose que les disciples verront s’élever vers le ciel, ce sont les pieds du Christ, portant encore la marque des clous. Ce sont les pieds des disciples qui, après la Pentecôte, parcourront des milliers de kilomètres, vers la Galilée, vers Chypre, vers la Grèce, vers Rome, et au-delà encore, pour que la bonne nouvelle soit proclamée et connue dans le monde entier. Pour le résumer, dans l’évangile selon saint Jean, Jésus lave les pieds pour les bénir, car ce sont les pieds qui transformeront les disciples en apôtres, au terme du cycle pascal.

Si les pieds servent avant tout à marcher, je leur connais une autre fonction. Ils peuvent aussi se mettre dans le plat : cette belle expression, originaire de Provence, désigne une intervention qui, si elle est maladroite dans son expression, par manque de tact ou de diplomatie, a le mérite de dire les choses en vérité. C’est bien d’être poli, de parler à mots feutrés, mais la langue de bois (ou la langue de buis) a ses limites : parfois, il faut oser dire les choses telles qu’elles sont, quitte à demander pardon ensuite si on a été un peu cash. On peut mettre les pieds dans le plat, tant que le plat ne casse pas. C’est la seconde façon que les pieds ont d’être prophétiques : ils sont au service de la vérité autant que du déplacement.

Chers paroissiens, nous tous, baptisés dans le Christ, nous sommes appelés à faire de nos pieds le signe et le moyen de la mission que Dieu nous confie. Pour ma part, ce lavement des pieds revêt un sens particulier ce soir, puisqu’il est le dernier que je vivrai parmi vous, avant de quitter cet été notre cher ensemble paroissial. La nouvelle mission qui m’attend n’est qu’à neuf kilomètres à pied, mais elle représente un changement très significatif dans ma vie, pour moi qui, paradoxalement, aime le voyage tout en étant d’un naturel assez casanier. Je me permets donc de confier mes pieds à votre prière : pour que je sache en faire un bon usage, pour sillonner le boulevard et les rues de la Croix-Rousse, pour porter le Christ à ceux qui l’attendent et à ceux qui l’ignorent, et, si nécessaire, pour les mettre dans les plats du Plateau. Pour que je sache prodiguer aux paroissiens (autant qu’à mes pieds) un soin attentif et constant. Et pour que revienne souvent à mes lèvres les paroles d’Isaïe, ainsi que la fameuse question posée au Bon Dieu par un curé célèbre – presqu’autant que saint Jean-Marie Vianney… et qui n’est autre que Don Camillo : « Les mains, Seigneur, sont faites pour bénir… mais les pieds ? » Que nos pieds soient eux aussi, là où ils passent, le signe et le moyen de la bénédiction de Dieu !

Amen.

Accès rapides

Le denier

Newsletter

Recevez les dernières actualités et la feuille d'informations directement dans votre boîte mail.

🍪

Ce site utilise des cookies pour améliorer votre navigation.