29 août 2021. Vingt-Deuxième Dimanche du Temps Ordinaire

Chers frères et sœurs,

Il y a deux ans et demi, j’ai eu l’occasion de visiter la grande Mosquée Hassan II à Casablanca, au Maroc, et j’ai été impressionné par la place qu’y occupe l’espace réservé aux ablutions, c’est-à-dire au lavage rituel : au sous-sol de la mosquée, dans une salle immense, de nombreuses fontaines sont un passage obligé pour les croyants : le vendredi et les jours de fête, nul n’entre dans l’espace dédié à la prière sans avoir quitté ses chaussures et sans s’être lavé les mains, la tête et les pieds selon des gestes très codifiés. Je ne me doutais pas alors qu’un an plus tard, nos églises commenceraient à ressembler à des mosquées – du moins, de ce point de vue-là : on n’y entre plus sans s’être glissé un masque sur le nez, et sans s’être lavé les mains au gel hydroalcoolique, avec des gestes devenus mécaniques…Vous me direz qu’il ne faut pas tout confondre – et vous aurez raison. D’un côté, un geste religieux, de l’autre, un geste sanitaire. Cependant, les notions qui les commandent se rejoignent : il est question de purification et donc de refus d’une forme de contamination. Je ne veux pas qu’un mal extérieur demeure sur moi, et je ne veux pas le transmettre à autrui. Pour entrer dans le lieu saint, je dois chasser ce qui est sale. Si nous pensons à l’angoisse de beaucoup d’entre nous à l’idée d’être contaminés et de tomber malades, avec peut-être de graves conséquences, alors il devient plus difficile de traiter par le mépris l’attitude des Pharisiens, même s’ils nous étonnent par leur côté méticuleux, précautionneux. Nous ne sommes pas si différents d’eux que cela. Bref, nous savons que ces questions sont sources de tension. Imaginez que je vienne vous voir à votre banc pour vous reprocher le fait que vos enfants ne se soient pas bien lavés les mains en entrant dans l’église, il se peut que vous le preniez mal ; de là, spontanément, nous entendons l’évangile de ce dimanche comme le récit d’une tension : d’un côté les Pharisiens et les scribes, de l’autre côté Jésus ; d’un côté, les gardiens des traditions, de l’autre côté, celui qui est la Tradition en personne, le médiateur par excellence : « Dieu, nul ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître. » La Tradition telle que le Christ nous la révèle est la transmission d’une vie qui ne vient pas de nous, qui ne nous appartient pas, qui nous dépasse infiniment, et qui pourtant a besoin de nous pour poursuivre son chemin. Si nous sommes chrétiens, nous ne pouvons pas être comme une voie de garage pour la foi qui nous a été transmise : notre raison d’être est de la transmettre. « Malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile. » Mais ne caricaturons pas le propos de l’évangile : l’attitude de Jésus devant ces spécialistes exigeants de la Loi ne consiste pas à leur reprocher d’en faire trop, mais plutôt de n’en faire pas assez. Tout d’abord, il est vraisemblable que Jésus et la plupart de ses disciples faisaient habituellement les ablutions prescrites : le texte indique que ce sont seulement « quelques-uns des disciples » – et pas Jésus lui-même – qui prennent « leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées » – signe que Jésus n’avait pas institué un rejet de cette règle de pureté, ne méprisait pas les « traditions des hommes ». Ce que Jésus reproche aux Pharisiens et aux scribes, c’est leur fixation sur un point de détail, au détriment du reste. Ils sont incohérents, ils s’arrêtent à mi-chemin. Ils ont, eux, les mains propres et pures, mais l’esprit tordu, à l’affût des erreurs de leurs coreligionnaires plutôt que de leur propre vie intérieure. Jésus ne vient pas condamner les traditions humaines, mais les reconnecter à leur source. Il dit en substance à ses interlocuteurs : faites attention, vos traditions sont en danger, elles sont en train de mourir ! Elles meurent par manque de lien à la Tradition. Elles meurent, parce que vous ne savez plus ce qu’elles veulent dire. Elles meurent, parce que vous faites d’elles un absolu, alors qu’elles sont un moyen, un chemin. Un signe ne fonctionne que s’il indique une réalité plus grande et la met en lumière. Quand les traditions ne conduisent pas à la Tradition, elles se nécrosent, et deviennent, au mieux, de vieilles habitudes, au pire, de sales manies. Bien sûr, si nous ne vivons que pour nous-mêmes, les traditions nous suffisent. Elles deviennent le ron-ron tranquille dans lequel chaque jour ressemble au précédent et au suivant, confortable et sans surprise. Mais, si nous voulons vivre pour les autres et pour Dieu, comme le dit la lettre de saint Jacques, alors il est essentiel que nos traditions se nourrissent à la sève de la Tradition. Que le Seigneur nous donne de voir nos propres hypocrisies cachées, et de tâcher, pas à pas, de devenir humbles, honnêtes et cohérents, pour être les serviteurs, les amis et les gardiens de la Tradition qu’Il est lui-même. Amen.

Accès rapides

Le denier

Newsletter

Recevez les dernières actualités et la feuille d'informations directement dans votre boîte mail.

🍪

Ce site utilise des cookies pour améliorer votre navigation.