3 mars 2024 – Troisième dimanche de Carême

Chers frères et sœurs,

La Samaritaine au bord du puit a vu couler beaucoup d’eau, et elle a fait aussi couler beaucoup d’encre. À son sujet, on ne sait presque rien : ni son prénom, ni sa vie d’avant, ni sa vie d’après. Ce qui a suscité le plus de conjectures, c’est sa situation matrimoniale, telle que Jésus la résume : « Des maris, tu en a eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari. » Et Jésus insiste, quelque peu lourdement : « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari (…) Là, tu dis vrai. »

À ce sujet, deux théories s’affrontent. La première dit que la Samaritaine est une pauvre veuve à répétition : chaque fois qu’elle se marie, il arrive un malheur à son époux, et celui-ci décède. Quelle poisse ! C’est une histoire que l’on a déjà entendue dans la Bible, dans le livre de Tobie, où Sara perd ses sept maris les uns après les autres. Histoire reprise et adaptée ensuite dans un débat entre Jésus et les Sadducéens, qui imaginent la situation d’une femme qui épouserait successivement sept frères. Si la Samaritaine est cinq fois veuve, même si elle n’y est pour rien, on peut imaginer qu’au village elle soit tristement célèbre, objet de soupçon et d’enquête, et que les mauvaises langues ne se privent pas de la traiter de sorcière. Il n’y a pas de fumée sans feu, n’est-ce pas ? On comprend mieux, alors, pourquoi la Samaritaine a un compagnon qui ne l’épouse pas : ce dernier, pas fou, n’a pas envie de décéder prématurément !

La seconde théorie est plus répandue : elle avance que la Samaritaine a une vie sentimentale instable, voire dissolue. Elle séduit, elle s’enflamme, elle aime, elle se marie et à la fin, lassée, elle jette celui qu’elle a épousée. J’imagine que cette hypothèse est plus cohérente avec ce que nous connaissons dans la société actuelle, mais je ne suis pas sûr que cela colle avec le régime des mariages en Orient au temps de Jésus, quand les maris pouvaient répudier leur femme, mais pas l’inverse. Quoi qu’il en soit, que la Samaritaine soit une veuve éplorée ou une croqueuse d’hommes, on peut dire d’elle qu’elle est une « femme fatale » : au premier ou au deuxième degré, il y a dans sa vie un mélange inextricable d’amour et de mort, qu’elle porte avec elle, et qui pèse sur ses épaules au moins autant que sa cruche.

Pourquoi alors Jésus, si subtil et délicat dans la relation avec ceux qu’il rencontre, lui parle-t-il de but en blanc de son histoire douloureuse ? Était-il bien nécessaire de mettre ainsi le doigt là où ça fait mal ? Et quel rapport, d’ailleurs, avec le reste de la conversation ? Jésus ne serait-il qu’un casse-pieds obnubilé par les questions de morale ? Ces réactions, si elles sont peut-être les nôtres, ne sont pas celles de la Samaritaine. Non seulement elle ne s’offusque pas de la remarque de Jésus, mais elle en est même touchée, positivement. Elle a dit vrai, et lui, il lui parle vrai. Il ne joue pas le jeu de la séduction, de la démagogie. Plus encore, ces paroles font basculer la conversation, d’un aimable dialogue de sourds vers quelque chose de beaucoup plus fort. Comme si c’était Jésus qui, tout d’un coup, venait puiser en elle à une profondeur nouvelle.

Chers Alexis et Pablo, vous venez ce matin vivre le premier des trois scrutins qui vous mèneront vers le soir de votre baptême, au cours de la Vigile Pascale. Par définition, le scrutin est une question de regard. Si Dieu vous scrute, s’il pose sur votre vie un regard qui la décape, ce n’est pas pour vous épier et vous condamner, mais pour vous aimer. Jésus illustre ici parfaitement l’adage qui dit qu’un ami, c’est quelqu’un qui vous connaît parfaitement, et qui vous aime quand même. Au fur et à mesure de votre découverte de Dieu, comme la Samaritaine, vous êtes passés d’étape en étape, de la curiosité à la rencontre, et de la rencontre à l’expérience de la vérité. Vous y êtes presque !

Tout au long de l’évangile est suggérée une distinction entre le puit où l’eau est tout au fond, où pour laquelle il faut un seau, une corde et une poulie pour descendre la chercher, et la source jaillissante dans laquelle c’est l’eau qui, d’elle-même, va vers le haut. Le puit ( comme son nom l’indique) c’est épuisant ; la source, c’est vivifiant. La Samaritaine, fatiguée par avance du puit où il lui faudra une fois de plus se casser le dos pour remonter l’eau et la rapporter chez elle, trouve soudain une énergie incroyable en rencontrant Jésus. Elle court au-devant des villageois, sans plus se soucier de ce qu’ils pensent d’elle, et les paroles jaillissent de sa bouche comme d’une source : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? » L’autre regard dont il est question dans le scrutin tient dans cette invitation : « Venez voir ! » Dieu vous scrute pour que vous le scrutiez. La foi est un échange de regards. Comme le disait un paysan d’Ars à son curé, saint Jean-Marie Vianney, « Il m’avise et je l’avise. » Le scrutin n’est vrai que s’il est réciproque.

Chers frères et sœurs, au moyen de cette remarque étonnante et un peu culottée sur ses cinq maris et demi, Jésus a permis le déclic qui a transformé le cœur de la Samaritaine : femme fatale, elle est devenue femme vitale. Avec Pablo et Alexis, approchons de la source :

Près du puit de Jacob

Coule l’eau vive et nos amours

Faut-il qu’il m’en souvienne

La joie viendra toujours après la peine

Vienne midi sonne l’heure

Les jours s’en vont, Dieu demeure !

Amen.

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