3 septembre 2023 – Vingt-Deuxième Dimanche du Temps Ordinaire3 septembre 2023 –

Chers frères et sœurs,

Finalement, qu’en conclure ? Simon-Pierre est-il l’homme de la situation, ou bien une erreur de casting ? On peut respectueusement se poser la question. Il faut dire que son embauche s’est faite de manière rapide : Jésus passait sur la plage, et, voyant Simon, il l’a appelé. C’est un peu court comme méthode de recrutement ! Puis sa promotion a été tout aussi fulgurante et inattendue. Il a suffit que Simon lui dise : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu Vivant » pour que Jésus lui remette les clefs du Royaume des cieux, et en prime, à défaut d’une voiture de fonction, il lui a offert un nom nouveau, Pierre, synonyme de solidité et de pérennité. Voilà une direction des ressources humaines menée tambour battant !

Certes, Pierre a de grandes qualités. Il est spontané, dévoué et généreux, il a un cœur gros comme ça, et une certaine expérience de la direction des hommes, sur le petit bateau qu’il menait, patron-pêcheur, sur les flots bleus du Lac de Tibériade. Mais le cœur de Pierre est aussi habité par une ombre persistante, celle de l’inquiétude. Ce qui ne va pas dans le monde le taraude, le tourmente, et il cherche des solutions. Comment faire pour trouver du poisson ? Comment réussir à nourrir toute cette foule ? Comment survivre à la tempête ? Comment résoudre tant de problèmes qui surviennent de toutes parts ? Son souci et son angoisse de ce qui manque ne le laissent jamais en repos.

Et c’est cette inquiétude pleine de sollicitude qui, une fois de plus, le pousse à aller parler à Jésus. Celui-ci a annoncé sa passion, sa mort et sa résurrection comme les étapes nécessaires de son avenir proche… il n’a pas dit que c’était un problème. Mais Pierre veut à tout prix trouver la solution : « Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas. » Autrement dit : avec moi à tes côtés, il ne t’arrivera rien ! Je te défendrai, je te protégerai, je te sauverai. Comme disait avec malice André Frossard, Pierre veut faire la volonté de Dieu, que Dieu le veuille ou non ! Il est tellement angoissé et tellement plein de bonne volonté qu’il ne comprend pas que Jésus ne demande pas à être sauvé. Lui, il est venu pour donner sa vie, et la donner pleinement.

Nous aussi, nous pouvons connaître les excès d’un amour inquiet, qui veut le bien de l’autre, au point de le mettre sous cloche, de l’enfermer, de l’étouffer. Il ne lui arrivera rien, en effet, rien de mal, mais rien de bien non plus, puisqu’au nom de la vie il lui sera défendu de vivre. Il y a trois ans, au début de l’été 2020, le philosophe et mathématicien Olivier Rey avait publié un petit texte intitulé L’Idolâtrie de la Vie. Réfléchissant au premier confinement, il se demandait ce que signifiait aujourd’hui le mot même de cette « vie » qu’il fallait sauver, à n’importe quel prix. Dans une société qui ne s’autorise de référence à aucun sacré transcendant, à aucun au-delà, à aucun Royaume des cieux, la vie biologique devient la seule valeur suprême et paradoxale, et pour la protéger – en vain – l’inquiétude est telle que l’on est prêt à tout perdre… Olivier Rey résume la situation par ce saisissant aphorisme : « Quand on ne peut plus donner sa vie, il ne reste plus qu’à la conserver. »

Dans un autre style, c’est aussi ce que raconte le roman Le Portrait de Dorian Gray, d’Oscar Wilde. Un dandy londonien, jeune et beau et fier de l’être, obsédé par l’inquiétude de vieillir, se fait peindre le portrait et obtient que désormais ce soit ce tableau qui vieillisse à sa place. Perpétuellement jeune en apparence, il vit comme si la mort n’existait pas, et comme si ses actions n’avaient pas de conséquences, puisque c’est son portrait qui les assume à sa place. Il croit profiter de la vie, il fait du mal sans même s’en rendre compte, jusqu’au jour où il découvre toute la laideur qui s’est accumulée sur le visage de son portrait ; il comprend alors que sa vie préservée artificiellement pendant tout ce temps n’a pas été réellement vécue, parce qu’elle n’a fait que prendre sans jamais rien donner.

Peut-être avez-vous trouvé Jésus un peu brutal à l’égard de Pierre. Sans doute fallait-il une thérapie de choc pour secouer Pierre de l’inquiétude qui le ligote. Mais je crois surtout que le fait que Jésus traite Pierre de Satan est la preuve de leur profonde amitié. Des gens qui se connaissent un peu et s’apprécient vont avoir les uns envers les autres des paroles toujours aimables et mesurées ; mais de vrais amis, de grands amis, vont être capables de s’engueuler sans ménagement, parce qu’ils veulent être en vérité, et qu’ils savent que l’autre comprendra que ce n’est que de l’amour. D’ailleurs, Jésus ne retire pas à Pierre les clefs du royaume, pas plus que Pierre ne claque la porte. Jésus n’a pas confié son Église à un génie, à un as du management, à un héros tout-terrain : il l’a confié à un homme au cœur bon et inquiet, qui a besoin d’avoir plusieurs fois rencontré la miséricorde de Dieu pour pouvoir humblement donner sa vie, plutôt que de la préserver à tout prix.

Chers Tancrède, Bérénice, Armand et Lancelot, si vous avez une vie, c’est pour la donner ! Comme le disait, il y a un siècle, le Bienheureux Pier Giorgio Frassati : « Vivre sans foi, sans idéal à défendre, sans lutter pour la vérité, ce n’est pas vivre, c’est vivoter : à nous, il n’est pas permis de vivoter, nous devons vivre ! » Le baptême et la première communion sont des cadeaux que Dieu nous fait pour que notre vie soit plus belle, non pas en la gardant pour nous, mais en la donnant. C’est ce que le psaume de ce jour dit de manière magnifique : « Ton amour vaut mieux que la vie… comme par un festin je serai rassasié. » Laissez-vous saisir par cet amour qui veut rendre votre vie vraiment, pleinement, authentiquement vivante,

Amen.

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