30 mars 2024 – Vigile de la Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ

Chers frères et sœurs,

Merci et bravo d’avoir tenu jusqu’à la fin ! Vous êtes arrivés à la fin de cette très longue liturgie de la Parole ; à la fin de ce triduum inauguré avec la Messe de la Cène, jeudi soir ; à la fin de ce Carême, commencé il y a un mois et demi ; à la fin de ce catéchuménat, commencé il y a un an et demi ! Quelle patience ! Quand on se lance dans la lecture d’un gros livre ou dans le visionnage d’un long film, la tentation peut être grande de sauter des pages, de se mettre en avance rapide, d’aller voir directement au dernier chapitre la solution de l’histoire. Cela s’appelle un spoiler, ou, en français, un ‘divulgâchage’ : lorsque l’on découvre la fin sans avoir parcouru le récit. Et c’est un crime de lèse-narrateur : quel dommage de se priver du temps de l’histoire !

On peut donc le dire : le Christ est ressuscité ! Ce n’est pas un spoiler, puisque vous avez pris le temps. Mais avant cette joyeuse lumière de Pâques, quelle quantité de ténèbres ! Il a fallu passer par l’épreuve d’Abraham, par la tentative d’extermination des Hébreux par les armées de Pharaon, par l’angoisse du peuple d’Israël entouré d’ennemis, par la Passion de Jésus que nous avons suivie pas à pas hier, Vendredi Saint. Ce n’est pas par goût du macabre que nous lisons tous ces textes, mais parce que nous habitons un monde ou le mal est une réalité, ce mal, petit ou grand, dont nous sommes alternativement les complices, les coupables et les victimes.

Avant d’arriver à Pâques, acceptons de regarder le mal là où il est. Dimanche dernier, la Passion selon saint Marc se terminait par ces mots : Joseph d’Arimathie « roula une pierre contre l’entrée du tombeau. Or, Marie Madeleine et Marie, mère de José, observaient l’endroit où on l’avait mis. » Traumatisées, ces femmes ont dû vivre le sabbat dans un état second. Et nous les retrouvons le dimanche, au petit matin, quand elles peuvent enfin se rendre au tombeau de Jésus. Pudiquement, saint Marc rapporte seulement la question qu’elles se posent : « Qui nous roulera la pierre pour dégager l’entrée du tombeau ? » Elles n’ont pas prévu de solution, elles ne savent pas comment elles vont y arriver : la lourdeur de la pierre qui ferme le tombeau exprime la lourdeur de la tristesse qui les écrase, comme s’il n’y avait pas de solution au mal.

Depuis un an et demi, nos deux catéchumènes, Alexis et Pablo, se sont mis en route, eux aussi, vers le Christ, sans savoir comment tout se passerait. Avec leurs accompagnateurs, Pascal, Albane et Axel, ils ont lu l’évangile, échangé sur la foi, parlé aussi des questions existentielles : le mal, la liberté, l’espérance. Il y a quelques jours, dans une discussion, Pablo évoquait un grand classique de la littérature russe, qu’il conseillait à Alexis de lire : Crime et Châtiment, de Fiodor Dostoïevski. Sans en spoiler la fin, je voudrais en évoquer l’intrigue. A Saint-Pétersbourg, au milieu du dix-neuvième siècle, vit un ancien étudiant fauché, Rodion Raskolnikov, solitaire, intelligent, orgueilleux, et révolté par l’injustice. Il voit tout ce qui ne va pas dans le monde, et il n’en peut plus. Il rêve d’être comme Napoléon, un génie qui change le monde. Un jour, il se rend chez une vieille prêteuse sur gages, une femme qui symbolise tout ce qu’il déteste, et il la tue d’un coup de hache, persuadé de faire ainsi un geste héroïque. Or, il réalise vite que son geste ne résout pas la question du mal. Au contraire : il ressent le remords d’avoir tué, et le voilà plongé dans une peur et une angoisse immenses.

Face au scandale du mal, dit donc Dostoïevski, une réponse possible est le ressentiment, la colère qui pousse à s’indigner et à résoudre la violence par une « violence juste ». Mais notre conscience nous alerte : cette solution est pire que le mal. Alors, il existe une autre réponse, une petite voie, qui peut sembler absurde. Raskolnikov rencontre une jeune femme nommée Sonia, dont la vie est remplie d’épreuves. Pourtant, Sonia est désarmante : face à l’injustice, elle se laisse faire. « Qu’est-ce que je serais, sans Dieu ? », dit-elle à Raskolnikov, avant de lui lire l’histoire de Lazare rendu à la vie – l’évangile du troisième scrutin, il y a quinze jours. Sonia, face au mal, ne fait preuve que de compassion, de générosité, disons le mot, de bonté. C’est un petit mot presque oublié, la bonté, et pourtant, c’est le mot le plus juste. Quand on parle du « Bon Dieu », cela peut sembler naïf, vieillot, et pourtant : il n’y a rien de plus divin que la bonté, et la bonté de Sonia est à l’image de celle de Jésus, qui a passé en faisant le bien, sans répondre à la violence. il s’est laissé faire, au point que l’on a cru que sa mort était la fin. Ce n’est plus un spoiler : la résurrection de Jésus, ce n’est pas la vengeance de Dieu, mais le triomphe de la bonté.

Chers Alexis et Pablo, vous allez enfin recevoir ce soir le baptême qui fait de vous des fils de Dieu, la confirmation qui fait de vous des apôtres, l’eucharistie qui fait de vous les convives du Christ. Laissez-vous faire, la pierre est roulée, et tout est prêt. Tout se termine : donc, tout commence. À présent, au nom du Bon Dieu, je vous invite à la bonté, dans son sens le plus fort. Si vous vivez selon la bonté de Dieu, je peux dès à présent vous spoiler ce que sera la suite : c’est la sainteté, l’amitié avec celui qui fait de vous ses frères. Comme dirait Dostoïevski : « Là commence une nouvelle histoire, l’histoire du renouvellement progressif d’un homme, l’histoire de sa progressive régénérescence, de son passage progressif d’un monde à l’autre, celle de son entrée dans une réalité nouvelle et jusqu’alors entièrement insoupçonnée. Cela pourrait faire le thème d’un nouveau récit, mais notre récit présent touche à sa fin. » Alors… vivement la suite !

Amen.

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