4 Juin 2023 – Dimanche de la Très-Sainte Trinité

Christos anesti, alithos anesti !

Chers frères et sœurs,

Même si vous ne parlez pas Grec, ces mots vous disent quelque chose. Le dimanche de Pâques et les jours qui suivent, les Orthodoxes grecs se saluent les uns les autres par ces mots, à la fois cri de joie et code de reconnaissance : Christos anesti – « Le Christ est ressuscité » / Alithos anesti ! – « Il est vraiment ressuscité ! » Depuis une dizaine d’années, je constate que cette belle tradition fait florès dans nos paroisses, et à la sortie de la messe de Pâques, cette fois-ci encore, tout le monde avait ces mots sur les lèvres.

Pourquoi utiliser cet adverbe, « vraiment » ? Le Christ serait-il différemment ressuscité grâce à ce petit mot ? En l’utilisant, les Chrétiens qui célèbrent Pâques entendent souligner que la résurrection n’est pas une théorie, mais une réalité, et que cette réalité change profondément leur vie. D’ailleurs, c’est presque devenu un tic de langage chez certains : cette propension à glisser l’adverbe « vraiment » dans toutes leurs prières, à la place de la virgule : « Seigneur, tu es grand, vraiment, tu es saint ! » Presque synonyme de « vraiment », il y a l’adverbe « tellement », que nous retrouvons au début de l’évangile, extrait du discours de Jésus à Nicodème : « Dieu a tellement aimé le monde »… Il faudrait presque inverser l’ordre des mots pour en raviver la force : « Dieu a aimé le monde, tellement ! »

À ces deux adverbes, on pourrait en rattacher un autre encore plus petit, encore plus courant : le mot « très ». Ce dimanche, par exemple, n’est pas seulement celui de la Trinité, mais celui de la « Très-Sainte Trinité ». N’y voyez pas un titre ronflant, mais une précision théologique. La Trinité est Très-Sainte parce qu’elle est la source de la sainteté de toute la Création. S’il y a la sainte Vierge, saint Blaise et saint Jean-Marie Vianney, le Saint-Suaire, la Sainte-Chapelle, et cætera, c’est parce que la sainteté de ces personnes et de ces choses vient, comme par capillarité, de Celui qui est vraiment Saint, tellement Saint, qui répand la sainteté sur son passage, comme le roi Midas changeant tout ce qu’il touchait en or.

En langage technique, on dira de ces adverbes que ce sont des intensifieurs : ils permettent de situer le degré de valeur et de force du verbe ou de l’adjectif auxquels ils sont rattachés. Ils sont si importants dans la langue des hommes que l’on en trouve une grande quantité de variantes locales dans le parler populaire. Ainsi, un Lyonnais ne dira pas que quelque chose est « très bon », mais qu’il est « cher bon » ; un Bordelais, qu’il est « gavé bon » ; un Marseillais, qu’il est « tarpin bon ». Et ainsi de suite… Que les parents qui essayent d’éduquer leurs enfants me pardonnent cet écart de langage : il me semble très significatif. Pour bien parler de Dieu, il faut parfois renoncer à la politesse, et laisser parler le cœur, laisser l’émerveillement s’exprimer, avec les mots qui nous sont les plus naturels.

Dans l’évangile selon saint Jean, le recours à l’intensifieur « tellement » a deux raisons d’être. La première est de dire que l’amour de Dieu est incommensurable : nos mots sont bien pauvres pour rendre compte de cet amour qui dépasse ce que l’on peut imaginer et désirer, tellement plus, tellement mieux. La seconde, que cet amour est irréversible : Dieu nous a aimé le premier, et cet événement à la source de notre vie est sans retour. Dieu ne peut cesser de nous aimer : ce serait renier ce qu’il est au plus intime de lui-même, communion ineffable d’amour entre les personnes du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint. Que Dieu nous ait aimé ainsi déclenche toute une cascade de conséquences : il nous aime en sorte que nous puissions croire en lui, vivre de la vie éternelle, être sauvés. Ce qu’il est – le Très-Saint – il entend que nous le devenions, et il en prend les moyens.

Fêter la Trinité, après la longue route qui nous a conduit à travers le désert du Carême, le jardin de Pâques, la longue plaine du temps pascal et la montagne de la Pentecôte, c’est célébrer l’intensité qu’il y a en Dieu : cela vaut bien quelques intensifieurs, n’est-ce pas ? Chers frères et sœurs, ce que nos adjectifs et nos verbes communs peinent à exprimer, ces adverbes le complètent, rajoutant à ce dimanche ce qui monte de nos cœurs : tellement de grâce, d’amour et de communion. Car nous ne sommes pas appelés à demeurer les spectateurs de la vie trinitaire, mais ses amis : la Vie Trine n’est pas dans la vitrine, elle est vraiment, tellement en nous !

Amen.

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