5 mai 2024 – Sixième Dimanche du Temps Pascal

Chers frères et sœurs,

S’ils avaient compris, les disciples auraient sans doute toussé. Ou ils auraient levé les sourcils. Ou ils se seraient évanouis. Heureusement, ils étaient bien loin de comprendre… Bien longtemps après, ils ont compris ce que voulait dire Jésus quand il disait : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. »

Deux mille ans après eux, lorsque nous entendons ces paroles, saisissons-nous ce qu’elles ont de vertigineux ? Tout tient à un petit mot, si petit qu’il passe souvent inaperçu : le mot ‘comme’. Il met en relation, dans une phrase, deux éléments différents : ici l’amour des hommes entre eux, d’une part, et l’amour du Christ pour ses disciples, d’autre part. Et ce deuxième amour, nous le savons, va mener le Christ jusqu’à donner sa vie sur la croix. C’est peu dire que la barre est très haute. Alors, pour ne pas défaillir, regardons de plus près : en réalité, il y a, non pas une, mais deux façons de comprendre le mot ‘comme’ : le comme de comparaison et le comme d’imitation, et ce n’est pas du tout la même chose.

A la Duchère, à deux pas de l’église Notre-Dame du Monde Entier, se trouve un jardin public qui se nomme le Jardin de la Comparaison. Ou, plus exactement, le « Jardin Compas-Raison », un petit jeu de mots riche en sous-entendus. Ce pourrait être le nom du Jardin d’Éden, à partir du moment où le serpent vient y mettre son nez. « Alors comme ça – dit-il à Ève – Dieu vous défend de manger du fruit d’un des arbres du jardin ? Il sait que, le jour où vous en mangerez, vous serez comme des dieux. » Là aussi, c’est plein de sous-entendus : Dieu vous cache quelque chose, Dieu veut vous empêcher de lui ressembler, vous devez vous méfier de lui et lui prendre son pouvoir. Le serpent joue sur la comparaison pour persuader Ève que Dieu est un concurrent, un rival, un ennemi.

Même effet de comparaison toxique ailleurs dans l’évangile, avec la parabole du pharisien et du publicain. Le premier, qui tâche de tout faire bien avec un soin maniaque, est habité par une angoisse qui le tiraille sans cesse. Alors, pour se rassurer, il se crée des ennemis imaginaires : « Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain. » C’est une tentation très grande, et terrible, de se créer des ennemis sur mesure à combattre pour se sentir exister : et quand ces ennemis imaginaires sont de vraies personnes, on peut détruire la moitié de l’humanité par orgueil.

Jésus, qui n’est pas bête, sait bien combien est grand ce risque de la comparaison qui tue, au sens figuré et au sens propre. Aussi souligne-t-il en quoi consiste l’amour dont il parle : il est une affaire d’amitié, donc d’égalité et de réciprocité. Entre deux amis, il n’y en a pas un qui est plus ami et l’autre qui l’est moins. C’est là qu’entre en jeu le second ‘comme’, le comme d’imitation.

Ce que Jésus annonce dans l’évangile – « Je vous appelle mes amis » – la première lecture l’illustre. Pierre, dans les Actes des Apôtres, a été appelé par un centurion romain à lui rendre visite. Logiquement, ce devrait être insupportable pour lui, qui est un bon Juif : aller chez un païen, qui plus est envahisseur, le toucher, lui parler, et pire encore, manger avec lui, tout cela ne se peut pas. Mais l’Esprit souffle à Pierre que des temps nouveaux sont arrivés, où tous les peuples sont invités à recevoir l’évangile, et à constituer ensemble l’Église du Christ. Et Pierre le dit ainsi : « Quelqu’un peut-il refuser l’eau du baptême à ces gens qui ont reçu l’Esprit Saint tout comme nous ? » En quelques instants, Pierre le Juif et Corneille le centurion sont devenus Pierre et Corneille les Chrétiens, et même, les amis. Ils demeurent ensemble plusieurs jours, sans que plus rien n’empêche la joie d’être rassemblés par l’essentiel.

Au ‘comme’ de comparaison, qui suscite l’orgueil, la honte, l’envie et la guerre, Jésus substitue le ‘comme’ d’imitation et d’émulation. Être amis, ce n’est pas seulement bien s’entendre, c’est aussi s’imiter, partager l’un à l’autre les talents et les biens reçus, et même, en toute amitié, se les voler à l’occasion. Dans un documentaire, le génial dialoguiste Michel Audiard parlait d’une de ses comédies. Un jour, il entend un de ses acteurs fétiches, Bernard Blier, dire un mot d’esprit. Ni une ni deux, il le note dans un carnet, et l’utilise dans son prochain film. Au journaliste qui s’étonne de la méthode, Michel Audiard répond : « Oui, cette réplique, je l’ai piquée à Blier. Je la lui ai volée… mais j’ai le droit de faire ça, c’est des amis. » Entre amis, se voler mutuellement de bonnes choses, c’est donc permis… c’est même recommandé !

Chers frères et sœurs, je vous invite à aimer le Christ au point de le voler. Au point de lui piquer ses répliques, de lui piquer sa manière de vivre, de lui piquer sa façon de donner sa vie par amour. Il ne demande pas mieux que cela ! Imitez-le joyeusement, paisiblement, pour que ‘comme’ ne soit pas un gros mot qui vous écrase, mais un appel qui vous élève. A la « Compas-Raison », préférez la « Croix-Sens » !

Amen.

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