5 novembre 2023 – Trente-et-Unième Dimanche du Temps Ordinaire5 novembre 2023 –

Chers frères et sœurs,

Y a-t-il un docteur dans l’assistance ? Cette question, je le précise, est purement rhétorique. Mais il m’arrive de la poser très sérieusement, à haute voix, au milieu de la messe, surtout lorsque, en période de canicule, l’un ou l’autre des paroissiens fait un malaise. La question « Y a-t-il un docteur ? » est donc comprise par tout le monde comme « Y a-t-il quelqu’un de compétent en médecine pour sauver une vie en péril ? » Et l’on est bien content, alors, qu’il y ait un docteur disponible…

Sans prétendre connaître exactement le curriculum vitae de chacun d’entre vous, je suppose qu’il y a dans l’assemblée de ce matin une bonne poignée de docteurs, pour la plupart en médecine. Les maîtres sont nettement plus nombreux, qu’ils soient titulaires d’une maîtrise dans de nombreuses disciplines, maîtres d’école, maître de chais, quartiers-maîtres ou maîtres de conférence, sans parler des notaires et des avocats. Quant aux papas, ils sont légion. Et je pourrais en dire autant des dames, tant les diplômées que les mères de famille. Tous, vous tremblez peut-être à l’idée des conséquences pratiques de ce que Jésus nous dit dans cet évangile. Devez-vous renoncer à apprendre quoi que ce soit de qui que ce soit, ou à qui que ce soit, dans un monde devenu parfaitement égalitaire ? Devez-vous obtenir que vos enfants, dès la fin de cette messe, vous appellent « mon géniteur » ou « ma génitrice », en lieu et place de « papa » et « maman », mots désormais interdits ? Et moi-même, dois-je arrêter de me faire appeler « Père », et dois-je n’être plus rien d’autre qu’un vieux garçon ?

Comme souvent avec Jésus, il n’y a pas à ces questions de réponse toute faite. Si je vous dis que, par décret, il est désormais formellement interdit dans la paroisse d’employer entre nous un titre évoquant une quelconque autorité, une quelconque hiérarchie, je contredis l’évangile lui-même, qui est rempli d’histoires de pères, de maîtres et d’éducateurs, puis d’« apôtres, [de] prophètes, [d’]évangélisateurs, [de] pasteurs et [d’]enseignants » et qui sont, dit saint Paul, autant de dons faits à l’Église (Ep 4,11). Si en revanche je vous dis qu’il n’y a pas de problème et que vous pouvez continuer d’user de vos titres comme cela vous chante, là aussi, je refuse d’écouter ce que l’évangile a à me dire. La vraie réponse à ces questions n’est pas dans cette homélie, elle est en vous. Vous seuls pouvez dire en quoi ces paroles vous concernent, et à quelle conversion elles vous appellent.

Une fois de plus, je crois que les reproches adressés par Jésus aux pharisiens sont avant tout une marque de son amour exigeant pour eux. Il ne leur reproche pas d’en faire trop, mais de ne pas en faire assez : « Tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas. » Leur enseignement est de grande qualité, mais ce qui leur manque, c’est la liberté vis-à-vis du regard d’autrui. Ils sont tellement persuadés d’être des bons croyants qu’ils se croient obligés de jouer, et même de surjouer, les bons croyants.

Voilà le vice principal des pharisiens : l’attention excessive qu’ils accordent à leur réputation. Ils se mettent sur les épaules une pression qui les rend invivables. Parce qu’ils se croient jugés en permanence, ils s’inventent un personnage. Comme un père de famille qui se sent obligé de correspondre au portrait du papa idéal, qui réussit tout, que tout le monde admire – celui-là que Gad Elmaleh appelle « le Blond » ; ou comme un docteur qui se croire tenu de montrer qu’il a réponse à absolument tout dans sa discipline ; ou comme ce chef qui se rend malade à force de devoir être infaillible dans chacune de ses décisions. Souvent, il est difficile de démêler ce qui est de la vanité et ce qui est de l’inquiétude : mais, petit à petit, on se retrouve tiraillé en deux, entre notre personnage public et notre personne privée. Lequel est le vrai ? Jésus, sans s’en douter, annonçait l’histoire d’un autre docteur, le fameux Jekyll, ce bon médecin qui peut se transformer en son double maléfique, Mister Hyde, en qui s’exprime tout le mal caché sous les belles apparences…

Ce n’était pas précisé au début de l’évangile, mais cet échange de Jésus avec la foule et ses disciples prend place à Jérusalem, au matin du Jeudi Saint. Jésus est revenu là où, à douze ans, dans le Temple, il avait eu la révélation de sa vocation à être « aux affaires de son Père ». Il avait alors pu grandir sous le regard de Marie et Joseph, des modèles de justesse dans la maternité et la paternité, et avec l’aide des docteurs de la Loi qui l’avaient traité avec respect. De tels exemples rendent exigeant et libre. C’est grâce à eux que, ce Jeudi Saint, Jésus a eu le courage de ses paroles, qu’il le paiera très cher, quelques heures plus tard. Le service de la vérité a un prix élevé… mais c’est un investissement qui a du sens !

Chers frères et sœurs, chers docteurs, maîtres, guides et professeurs, chers pères et mères, quels que soient vos titres, vos dons, vos compétences, vos diplômes, l’influence et l’autorité qui sont entre vos mains, exercez-les dans la véritable liberté, selon l’amour de la vérité. Si vous avez des lauriers, ne vous endormez pas dessus, mais désirez et demandez que Dieu vous renouvelle sans cesse à son service. En somme, la question la plus importante n’est pas : « Y a-t-il un docteur dans l’assistance ? » mais plutôt : « Quoi de neuf, Docteur ? »

Amen.

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