7 novembre 2021-Trente-Deuxième Dimanche du Temps Ordinaire

Chers frères et sœurs,

Une fois par mois, je m’offre une séance de concert. Je ramasse dans un sac les bouteilles et bocaux qui traînent dans ma cuisine et je les porte au conteneur à verre qui est sur la place. Chaque bouteille, en tombant dans le conteneur, heurte les autres et éclate dans un bruit cristallin, au point qu’un sac entier de verres est la promesse d’un étonnant concert. Les troncs de nos églises sont un peu moins mélodieux, mais eux aussi ont leur harmonie, quand les pièces tintent les unes sur les autres sur le fond métallique. En tombant, les bouteilles et les pièces font bling-bling, et ce n’est pas étonnant que ce son, « bling-bling », ait précisément été choisi – dixit le Larousse – pour désigner un « étalage clinquant de richesse destiné à déclencher un bruit médiatique ». Venir au Temple, devant le Trésor, c’était sans doute venir à un spectacle très bling-bling : écouter le concert des pièces qui s’entrechoquent, parier sur le montant des plus grosses sommes, saluer les donateurs les plus riches… Qui, dans tout ce fracas, remarquerait une petite veuve de rien du tout qui donne si peu que le bruit de ses piécettes est presque inaudible ? Qui, sinon quelqu’un qui justement n’est pas venu pour le spectacle ? Jésus, s’il se trouve dans le Temple, n’y est pas en promenade. Quelques jours auparavant, il est entré dans Jérusalem sous les applaudissements, la foule jetant palmes et rameaux sur le passage de son petit âne. Mais cette gloire-là est passagère, et le triomphe de Jésus a excité encore la colère des scribes et des pharisiens, bien décidés à se débarrasser de lui une bonne fois pour toutes. Jésus le sait et sans doute une certaine angoisse l’habite. Où aller chercher la paix, sinon au Temple, dans ce lieu où, à douze ans, il a eu la révélation de sa vocation ? Entretemps, Joseph, l’époux de sa mère, est décédé ; mais Jésus sait que, dans le Temple, il est « chez son Père », chez ce Dieu dont il est le Fils. Donc, Jésus sait ce que c’est une veuve : Marie est dans cette situation. Sans condition sociale, sans protecteur, sans ressources personnelles, une veuve peut vite être en état d’extrême précarité, en état de survie plutôt que de vie. Le psaume le souligne : Dieu – et par extension l’homme de Dieu – « protège la veuve et l’orphelin », qui sont si vulnérables. Logiquement, Elie et Jésus vont faire quelque chose pour ces veuves en danger de mort : ils vont les secourir, les nourrir, les aider, les sauver. Cela va de soi. Or c’est l’inverse qui se produit. Jésus, voyant cette pauvre veuve mettre son obole dans le tronc du Trésor du Temple, n’intervient pas. Il pourrait aller vers elle, lui dire que les scribes sont des vaniteux, que le Temple est suffisamment riche, qu’elle est trop pauvre et qu’elle ferait mieux de garder cet argent … mais il ne le fait pas. Dans la première lecture, Elie, confronté à une situation similaire, se comporte même comme le pire des goujats : il demande à cette femme et à son fils de lui préparer une galette avec tout ce qu’il leur reste, et de la lui offrir. Quelle indignité !Quelle indignité ? Peut-être pas. Sans nous en rendre compte, il y a chez nous de la condescendance à vouloir spontanément que les pauvres ne soient que des réceptacles : s’ils sont pauvres, il faut leur donner, les assister, les soulager. En dépit de nos bonnes intentions, il y a parfois du bling-bling dans notre désir d’aider les plus pauvres que nous. Or Elie et Jésus savent que la dignité des pauvres, c’est d’être capables de donner eux-mêmes. L’important n’est pas la quantité de ce qu’ils donnent, mais la capacité même à donner. Ces deux veuves donnent tout. Mieux encore : elles donnent tout, sans retour possible. Elie commande à la veuve de Sarepta de lui offrir ce qu’il lui reste de farine et d’huile, sans rien garder en réserve, sans solution de secours. Jésus laisse cette veuve verser ses deux piécettes dans le tronc où elle ne pourra jamais les récupérer. Le don est fait sans retour, il prépare et éclaire le sacerdoce de Jésus tel que l’épître aux Hébreux le présente. Les scribes entendaient détruire Jésus une fois pour toutes ; une fois pour toutes, par le don librement consenti de sa vie sur la croix, le Christ a offert le sacrifice qui est sans retour et qui sauve le monde. Dans sa pauvreté, il a donné tout ce qu’il a et tout ce qu’il est. Chers frères et sœurs, c’est une joie particulière pour moi, en écoutant cet évangile, de pouvoir rendre grâces. Il y a quinze ans – le 12 novembre 2006 pour être précis – je recevais l’ordination diaconale, c’était ce jour-là le trente-deuxième dimanche du temps ordinaire, avec ces lectures et cet évangile. En m’allongeant sur le sol, j’ai donné sans retour le peu que je pouvais offrir, en demandant au Seigneur de faire de moi un serviteur fidèle plutôt qu’un scribe bling-bling. Depuis quinze ans, je n’ai pas apporté grand-chose au Trésor, sinon, comme Bernadette Chirac ou David Douillet, une poignée de pièces jaunes. Que le Seigneur les accepte et en fasse quelque chose d’utile !Amen.

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