8 avril 2023 – Vigile pascale

Chers frères et sœurs,

Tout au long de l’année, la Parole de Dieu nous est délivrée au goutte-à-goutte. A chaque messe, nous l’entendons sous forme de petits extraits, tirés de l’Ancien Testament et du Nouveau, des psaumes, des évangiles, qui, tous ensemble, sauf exception, n’excèdent pas les dix minutes. Tantôt, on s’en réjouit : ces textes brefs s’écoutent plus facilement, et si le curé n’est pas trop bavard la messe ne dépassera pas une longueur supportable. Tantôt, on s’en désole : n’avoir à se mettre sous la dent que des confettis de l’Écriture, dont le découpage laisse parfois à désirer, c’est frustrant, alors que Dieu a tant à nous dire !

Si vous êtes dans la deuxième catégorie, sans doute attendez-vous chaque année impatiemment ce rendez-vous de la Vigile Pascale, où, enfin, nous prenons le temps d’écouter la Parole de Dieu de façon plus déployée. Vous, je n’ai pas besoin de vous convaincre. Si en revanche vous êtes dans la première catégorie, épuisés et excédés, alors, s’il vous plaît, prêtez-moi l’oreille encore quelques instants…

Pour comprendre l’intérêt d’avoir écouté ce soir tant de longues lectures, il faut commencer par regarder tout ce qu’il se passe depuis quarante-huit heures. Jeudi Saint, la messe de la Cène s’est déroulée normalement – hormis le lavement de pieds – jusqu’à la fin de la communion. Pourtant, elle n’a pas eu de fin : la réserve eucharistique a été portée au reposoir, et, après un temps de prière, l’assemblée s’est dispersée dans la nuit. Hier, l’office du Vendredi Saint était plus étrange encore : il n’avait formellement ni début ni fin. Dans l’église dépouillée, nous avons tout de suite commencé la liturgie de la Parole ; la vénération de la croix a pour ainsi dire remplacé la prière eucharistique, et après une communion sans fioriture ni conclusion, la foule s’est à nouveau éparpillée. Ce soir enfin, nous sommes entrés en matière de façon singulière : par le feu allumé sur le parvis, par le chant de l’Exultet, et par ces interminables lectures. Ces bizarreries ont une explication : c’est que le triduum pascal constitue non pas trois célébrations, mais une seule : une seule et même messe, commencée Jeudi soir, qui se termine cette nuit, et qui célèbre le seul et même mystère de l’amour du Christ, de sa passion, de sa mort et de sa résurrection, dans toute sa dynamique et dans toute sa cohérence.

C’est pour cette raison-là que, ce soir, la liturgie de la Parole a tellement d’ampleur. C’est parce que l’Écriture, elle aussi, à travers ses milliers de pages et la multitude des livres qui la compose, n’est en réalité qu’un seul texte, une seule et longue lettre d’amour que Dieu nous adresse, et une lettre d’amour, même quand elle est très longue, mérite de temps en temps d’être relue intégralement. D’un bout à l’autre de la Bible, Dieu déploie avec cohérence et patience un seul et même plan de salut, un seul et même projet de retrouvailles et de libération. C’est la seule et même histoire, commencée au premier jour de la Création, qui aboutit dans la nuit de Pâques : et rien que pour cela, cela vaut le coup de prendre notre temps.

Pour ne pas déroger à l’un de mes vieux dadas, permettez-moi de vous parler d’un film. C’est le dernier que j’ai vu avant, il y a trois ans, avant d’entrer en confinement, tel Jésus au tombeau sous l’œil des gardes. Il s’agit de 1917, un film anglais de Sam Mendes. Comme son nom l’indique, l’action se déroule au cœur de la Grande Guerre. Deux jeunes sous-officiers anglais, stationnés dans le Nord de la France, se voient chargés par leurs supérieurs d’une mission impossible : traverser le no man’s land et les lignes ennemies pour prévenir un bataillon du piège que l’armée allemande lui a tendu : s’ils n’arrivent pas à temps, près de deux mille hommes seront en danger de mort. A travers le pays désolé et les villages en ruine, les deux avancent, au péril de leur vie ; puis un seul, qui, au terme d’une course folle au milieu des soldats qui s’élancent à l’assaut, parvient enfin à son but. Une originalité de 1917 est qu’il a été réalisé (avec l’aide de quelques habiles effets spéciaux) sous la forme d’un unique plan-séquence, où la caméra suit les protagonistes pas à pas, sans interruption, au cœur de la violence qu’ils traversent. La forme est au service du fond : et la longueur de la prise de vue, qui immerge le spectateur dans l’action, retranscrit aussi la continuité et la cohérence de l’aventure de ces hommes lancés dans une mission qui les dépasse, et qui pourtant vont jusqu’au bout, à travers la mort et à travers la nuit, jusqu’au lever du jour.

L’histoire de l’amour de Dieu pour nous est, lui aussi, en quelque sorte, un immense et unique plan-séquence. Parti du jardin d’Éden, le Seigneur s’est lancé à notre recherche, dans cette mission que beaucoup jugent impossible. Il a traversé la violence au pays d’Égypte, la Mer Rouge à pied sec, et l’interminable désert. Il a posé le pied sur la Terre d’Israël, mais sans s’y arrêter pour toujours. Aux femmes arrivées devant le tombeau vide, les anges disent qu’il est déjà reparti, vers la Galilée des nations : là, il les précède, elles l’y verront. Et, de la Galilée, il est allé partout où ses apôtres l’ont annoncé : à Rome, à Lyon, à l’autre bout du monde. Il ne s’arrête pas. Le plan-séquence n’est pas encore fini : il reste à aller, avec lui, jusqu’au ciel. Peu avant la dernière scène de 1917, le héros passe par un sous-bois paisible, où des soldats anglais prennent un dernier temps de repos avant la bataille, peut-être un dernier temps de prière. L’un d’eux chante une vieille chanson, I’m just a poor wayfaring stranger :

« Je ne suis qu’un étranger, pèlerin

Un voyageur en ce monde

Mais il n’y a ni mal, ni peine, ni danger

Dans la lumière où je m’en vais… »

Chers frères et sœurs, l’immense plan-séquence de Pâques, que déploie cette liturgie de trois jours et cette grande fresque de l’Écriture, est une invitation à regarder la cohérence et la continuité du plan de Dieu, dans notre vie comme dans celle de toute sa Création. Ne nous contentons pas de contempler sa splendeur : laissons-nous immerger en lui. Pour aller jusqu’au bout, comprenons ce que nous dit cette nuit de la résurrection : au terme du plan-séquence, il n’y a pas quelque part, il y a Quelqu’un… c’est Lui, le Christ ressuscité, notre Terre Promise.

Amen.

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