8 octobre – Vingt-Septième Dimanche du Temps Ordinaire

Chers frères et sœurs,

Il y a quelque chose de vertigineux à lire cet évangile aujourd’hui. Sur cette Terre Promise où coulent le lait, le miel et le vin, plus de cinq mille roquettes ont été tirées hier ; les morts se comptent par centaines, et les blessés, par milliers. La parabole des vignerons qui deviennent homicides au nom d’un lopin de vigne se révèle prophétique : la violence qui surenchérit sans cesse n’est ni une affaire du passé, ni une affaire de fiction. Son actualité nous saute douloureusement aux yeux.

En deux mille ans, rien n’a donc vraiment changé. Jésus avait déjà trouvé les mots pour raconter une histoire de violence gratuite aussi incompréhensible qu’irréversible, et qui, pourtant, avait commencé de manière impeccable. Le propriétaire de ce domaine est tombé amoureux de sa vigne. Il met un soin délicat de l’entourer de ce qu’il y a de mieux : une clôture solide, un pressoir tout neuf, une belle tour de garde. Ces attentions sont autant de chansons d’amour, à la manière du poème du livre d’Isaïe : on n’a pas tous les mêmes langages de l’amour.

On peut imaginer que cet homme, enfin, a cherché à recruter les meilleurs vignerons pour sa vigne, choisissant les plus compétents, les plus travailleurs, ceux à qui il estimait le plus pouvoir donner sa confiance. On ne confie pas son trésor à n’importe qui, n’importe comment ! Cela me rappelle ce mariage, célébré il y a quelques mois. Au moment de signer les registres, je m’aperçois que le stylo Bic fourni par la paroisse est désespérément sec. Un des témoins le remarque et, avec une fierté qu’il ne cherche pas à dissimuler, il sort de sa poche son plus beau stylo – un superbe stylo à plume d’une marque illustre, au nom de sommet alpin. Il me tend le stylo, et d’un sourire, me dit : « Il s’appelle Reviens ! » J’avais compris : après avoir dûment signé les registres, en admirant les beaux pleins et déliés que la plume permettait de dessiner, je lui ai rendu son cher stylo, qu’il a retrouvé avec la même joie. J’imagine que le maître fait de même : il fait confiance aux vignerons, et il leur remet sa vigne avec émotion et fierté, en leur glissant : « Elle s’appelle Reviens ! »

Oui, tout a si bien commencé. Et tout se continue aussi bien : la vigne embellit et prospère. A l’heure des vendanges, elle ne déçoit pas. Il ne reste plus qu’à partager son fruit, selon les termes du contrat, selon les promesses de l’alliance. Et c’est là que tout bascule. Sans crier gare, les vignerons commencent par se comporter en squatteurs : ils se retranchent dans le domaine, ils changent les serrures, ils décident que désormais, c’est comme s’ils étaient chez eux. De squatteurs, ils deviennent des brutes : les messagers envoyés par le maître pour récupérer sa juste part ne reçoivent que le mépris et les coups. Enfin, de brutes, ils deviennent des assassins : ils s’imaginent que tuer le fils du maître fera d’eux les héritiers de la vigne. C’est violent, et c’est terriblement idiot : depuis quand tuer un homme fait de vous un héritier de substitution ? Bref, ces gens sont devenus fous : la jalousie les a fait basculer dans la violence sans retour, comme s’il n’y avait ni lendemain, ni justice.

Ce qui est terrible avec la violence, c’est qu’elle nous séduit au moment même où elle nous dégoûte. La violence des vignerons révolte tant les auditeurs de Jésus qu’à leur tour, ils sont pris d’une ivresse de violence imaginaire : « Ces misérables, il les fera périr misérablement ! » disent-ils avec – tel que je crois l’entendre – dans la voix une excitation morbide. Faut-il que la vengeance tienne lieu de justice ? Faut-il proclamer que, « si nous sommes attaqués, nous riposterons deux fois plus fort » ? Jésus écoute la réaction des grands prêtres et des anciens, sans rien dire. Il sait bien quelles seront les conséquences de ce goût pour la violence dont ils ne se cachent pas.

Que faut-il que Jésus fasse devant ce piège qui menace de se refermer sur lui ? Fuir, le plus loin possible ? Au contraire : il faut revenir. Ce verbe revient deux fois (c’est le cas de le dire) dans le psaume 79 :

Dieu de l’univers, reviens !

Du haut des cieux, regarde et vois :

visite cette vigne, protège-la,

celle qu’a plantée ta main puissante.

Jamais plus nous n’irons loin de toi :

fais-nous vivre et invoquer ton nom !

Seigneur, Dieu de l’univers, fais-nous revenir ;

que ton visage s’éclaire, et nous serons sauvés.

Ces versets éclairent d’une lumière nouvelle l’attitude du propriétaire de la vigne, qui semble si curieusement obstiné à récupérer ce qui lui est dû. Ce n’est pas l’appât du gain qui le guide, mais l’amour de sa vigne. Prise en otage, elle crie vers lui, elle l’appelle au secours, elle attend sa libération. « Reviens », répète-t-elle à ce maître en voyage qui, faute de pouvoir rentrer lui-même, envoie les siens à la rencontre de sa vigne. Ce ne sont pas les bénéfices de la vente du vin qui l’intéressent, mais cette vigne, qui s’appelle Reviens.

Château Reviens, grand cru classé : voilà le nom de cette vigne que le maître ne se résoud pas à abandonner. Tant pis s’il semble trop bon, trop têtu, trop naïf, tant pis s’il semble toujours se faire avoir à force d’insister par la voie diplomatique, la seule qu’il connaisse. Il ne laissera pas Château Reviens disparaître. Et son fils, lui-même, qui dans la parabole ne porte pas de nom, permettez-moi de croire que lui aussi il s’appelle Reviens. Il revient chez lui, et son Père l’aime tant qu’il s’imagine que l’on ne peut que le respecter, l’estimer, et l’aimer. C’est pour cela qu’il le laisse rentrer à la maison désarmé, sous l’apparence du pauvre, de l’innocent. A tout prendre, il préfère s’appeler Reviens que Rival, parce qu’il ne veut pas entrer dans la logique de la violence qui se venge. Aujourd’hui encore, le Christ s’appelle Reviens. Nous le fêtons dans sa résurrection, son premier retour pascal, et nous attendons le second retour, dans la gloire qui ne finit pas. Il ne revient pas vers nous pour autre chose que nous donner la Paix qu’il est lui-même. En ces jours de guerre et de violence qui semblent sans issue, soyons les témoins de cet amour encore possible, toujours vivant, qui, même au milieu des vignes tachées de sang, s’appelle Reviens.

Amen.

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