9 avril 2023 – Dimanche de Pâques

Chers frères et sœurs,

Il y a trois mois, un jour de janvier, je venais d’entrer dans ma voiture, en pensant à la réunion à laquelle je devais me rendre, lorsque mon téléphone a sonné. A l’autre bout du fil, une paroissienne, d’une voix blanche, m’a juste dit : « Venez vite. Il s’est passé quelque chose. » J’ai compris que je ne savais pas quelle était cette chose qui s’était passée, mais que j’en savais assez, au ton et à la forme de ce message, pour obéir, et venir sans tarder. Laissant là ma réunion, j’ai donc roulé – énergiquement mais prudemment, en respectant presque les limitations à 30 à l’heure – jusqu’à l’église de Champagne-au-Mont-d’Or, qui venait d’être l’objet d’une profanation.

C’est ainsi que j’imagine assez bien Marie-Madeleine entrant dans la maison où se trouvent Pierre et l’autre disciple. Pas besoin de long discours : son attitude, son regard, le ton de sa voix suffisent à exprimer tout ce qu’elle ne dit pas. « Venez vite. Il s’est passé quelque chose. On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Et le mouvement qui a mené Marie-Madeleine, en hâte, du tombeau à la maison s’empare des deux disciples, et les emmène à leur tour de la maison au tombeau. Ils arrivent, ils entrent d’abord dans le tombeau vide, chacun à son tour, ils voient, et, alors, ils entrent dans la foi.

Il est frappant de constater avec quelle économie de mots l’évangéliste saint Jean dépeint cette triple expérience du matin de Pâques. C’est le propre des grands écrivains de savoir évoquer les réalités les plus importantes en des termes très simples, plutôt que de les décrire dans le détail. C’est le sens profond de la poésie, qui donne à voir et à contempler. La tradition identifie saint Jean à ce « disciple que Jésus aimait », qui, le dernier entré dans le tombeau, voit, et, le premier, croit. Habituellement, ‘voir’ et ‘croire’ sont des verbes transitifs, qui n’existent pas sans un complément d’objet direct ou indirect : on voit quelque chose et on croit à quelque chose. Or Jean ne précise pas ce qu’il a vu, ni ce à quoi il a cru : un signe, je crois, de sa très grande pudeur spirituelle. Comme Marie-Madeleine, il choisit les mots les plus courts pour transcrire cette expérience de Dieu « plus intime à lui-même que lui-même. » Il exprime son expérience de la foi autant par ce qu’il ne dit pas que par ce qu’il dit : il suggère, il évoque, et, en en disant si peu, il en dit long.

« Il vit, et il crut » : ces cinq petits mots nous invitent à deviner et à exprimer le reste. Ce que Jean n’a pas dit, c’est à nous de l’ajouter. C’est pour cela que la liturgie de Pâques éclate tant : elle célèbre l’espérance avec le faste que la pudeur n’a pas osé employer. C’est pour cela que notre Alléluia doit être ce matin si joyeux, c’est pour cela que la musique est si belle, que l’encens fume autant, et que nous allons être aspergés tout à l’heure aussi généreusement de l’eau bénite, en souvenir de notre baptême. La pudeur n’interdit pas la joie, au contraire : elle la suscite !

C’est donc à nous aussi que s’adresse ce cri : « Venez vite, il s’est passé quelque chose. » A l’inquiétude succède la joie, parce que le tombeau du Christ n’a pas été profané, comme Marie-Madeleine l’avait craint. Voilà ce que voit, et croit, le disciple bien-aimé : ce n’est pas le tombeau qui a été profané, mais c’est la mort qui l’a été. Son sacré pouvoir de nuisance a été détruit : désormais, c’est elle qui est mortelle, c’est elle qui est profane. La séquence de Pâques, chantée juste avant l’Alléluia, le résume ainsi : « La mort et la vie se sont affrontées en un prodigieux duel : le Maître de la Vie, lui qui était mort, règne, Vivant. » Le Christ n’a pas évité la mort, il l’a affrontée ; il s’est jeté sur elle, la tête la première, pour la faire exploser de l’intérieur, et c’est ce triomphe que nous venons voir en ce matin de Pâques.

Chère Mahaut, à la suite de Sylvain, baptisé cette nuit, au cours de la Vigile de Pâques, tu vas à ton tour entrer dans le tombeau désormais vide pour toujours, dans le mystère de la résurrection. Tu ne vas pas y entrer au moyen d’un long discours, mais par le sacrement du baptême, lui aussi économe en mots et en gestes : un peu d’eau versé sur ton front, et des paroles très simples. C’est ainsi que, dans le baptême, notre espérance s’exprime par ce mélange singulier de pudeur et de joie, si caractéristique des Chrétiens. Nous avons, avant toi, été appelés, et nous avons vu, et nous avons cru ; et c’est à toi, aujourd’hui, à ton tour, de voir et de croire. Viens vite, et réjouis-toi : au matin de Pâques, aujourd’hui comme il y a deux mille ans, il s’est passé quelque chose !

Amen.

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