9 mai 2024 – Solennité de l’Ascension du Seigneur

Chers frères et sœurs,

« Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous l’entendre vous dire après votre mort ? » Pendant de longues années, sur le plateau d’Apostrophes (1975-1990) puis Bouillon de Culture (1991-2001), Bernard Pivot a soumis chaque vendredi soir ses invités à la question, à cette question.

Certes, les invités de Bernard Pivot connaissaient la question, ils s’y étaient préparés, leur réponse n’était pas spontanée… il n’empêche. Il y a quelque chose de très touchant à se dire qu’un grand nombre de personnalités publiques, qui pouvaient souvent se présenter comme mécréants, se laissaient faire. Au moins le temps d’une question, ils imaginaient ce que pourrait être une vie après la mort, ils acceptaient l’idée d’un Dieu bon comme un vrai père, qui les attendrait et, un jour, les accueilleraient. Une petite vidéo de l’INA, ressortie il y a trois jours, présente un pot-pourri de ces réponses. Le Dieu qu’elles dessinent est ainsi capable de dire à Pierre Tchernia : « Entre, tous tes copains sont là ! » ; à Jean d’Ormesson : « Entre, pauvre imbécile ! » ; ou tout simplement, à Brigitte Bardot : « Je t’aime ». Et c’est la réponse imaginée par l’écrivain Jean Dutourd, qui, parmi toutes, m’a le plus marquée : « Te voilà enfin, cher fils prodigue, entre, on n’attendait que toi ! »

En ce jour de l’Ascension, nous pouvons nous interroger légitimement : au moment où Jésus est arrivé à la droite du Père, quels sont les premiers mots que celui-ci lui a dits ? Le propos de Jean Dutourd me trotte dans la tête : les paroles de retrouvailles, celles d’un père demeuré à la maison et d’un fils enfin de retour après un long périple, tout cela m’évoque effectivement la parabole du fils prodigue. Mais quel lien est-il permis de faire entre cette histoire et la fête de l’Ascension du Seigneur que nous célébrons aujourd’hui ?

A priori, le fils prodigue de la parabole n’a rien à voir avec le Ressuscité de Pâques. Le premier est un fils indigne, désobéissant et débauché – au sens littéral : il a refusé le travail, il a abandonné son poste. Et c’est bien malgré lui, piteux, honteux, qu’il rentre à la maison, pour survivre, avec la perspective d’y être esclave, lui qui a renoncé à être fils. Rien à voir avec Jésus ressuscité, héros triomphant qui monte irrésistiblement, qui s’élève parmi les ovations, aux éclats du cor, comme Bonaparte revenant d’Égypte. Rien à voir ! Sinon une chose : dans les deux cas, c’est la fête. Même pour le fils prodigue : quand il regagne la maison paternelle, son père, loin de le punir, lui organise une gigantesque fête, une fête à laquelle il veut inviter absolument tout le monde : les amis, les voisins, les serviteurs, la famille, et même le grand frère grincheux, qui a tant de mal à supporter le retour du cadet. La salle de fête semble être élastique à l’infini, car il faut qu’elle contienne tout le monde.

L’Ascension est une fête dont le modèle se trouve à la fin de la parabole du fils prodigue. En revenant au ciel, auprès du Père, Jésus ne referme pas la porte derrière lui, sur sa vie sur terre. Comme le fils prodigue, le fêtard passionné, il rentre à la maison en veillant à la laisser derrière lui la porte ouverte, pour que ses copains le suivent. Car les apôtres sont ses copains, au sens le plus noble de ce terme trop galvaudé : dans les Actes des Apôtres, un repas précède l’Ascension, et les amis qu’un même pain a réunis sont ensuite invités par Jésus à voir son Ascension, non pas pour épater la galerie, mais pour leur dire où, désormais, ils vivent en espérance : le Christ les précède, et une force leur sera donnée pour le suivre, d’abord sur terre, et ensuite, un de ces jours, au ciel.

Ainsi Jésus est-il, tout à la fois un fils prodige et un fils prodigue. Prodige, il l’est par son obéissance, par le don de sa vie, par son amour, par tout ce qui en lui nous impressionne et nous construit. Prodigue, c’est-à-dire infiniment généreux, il l’est par sa miséricorde, par son désir de nous faire partager ce qu’il est et ce qu’il vit : « il a fait des dons aux hommes », à profusion. Son Église est à son image : prodige, sérieuse, solide, elle a les pieds bien sur le sol, au contact de la vie telle qu’elle est ; prodigue, joyeuse et rêveuse, elle a la tête au ciel, près du Père, au contact de la vraie Vie, celle qui ne finit pas. Prodige et prodigue, bien élevé à tous les points de vue, Jésus peut s’entendre dire, à la porte du ciel : « Entre dans la joie de ton Père. »

Chers frères et sœurs, l’Ascension du Seigneur ressuscité, qui nous précède dans la gloire et nous y attend, est au cœur de notre foi, elle en est pour ainsi dire le pivot. Laissons-nous apostropher par cette question qui nous est personnellement posée : Puisque Dieu existe, qu’aimerais-tu l’entendre te dire après ta mort ?

Amen.

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