Dimanche 10 février 2022 – Cinquième Dimanche du Temps Ordinaire

Chers frères et sœurs,

Cela s’est passé en un éclair, et n’a duré qu’un instant. Mais quel éclair, et quel instant ! Tout d’un coup, Simon est devenu Simon-Pierre. L’aviez-vous remarqué ? Dans cette scène de l’appel des premiers disciples, saint Luc manie la plume avec une immense subtilité. Simon s’appelle Simon au début et à la fin de sa rencontre avec le Christ ; et c’est normal, car à cette époque-là, c’est son unique prénom. Pourtant, au milieu de la pêche miraculeuse, saint Luc lui donne, une seule fois et de manière inattendue, un prénom composé : « à cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus… » Comme si, en un éclair, Simon comprenait qui est Celui qui se trouve dans sa barque, et qu’en retour son avenir lui passait sous les yeux : un jour, il sera Pierre l’apôtre, Pierre le traître pardonné, Pierre le chef de la Primitive Église. Et tout cela lui donne le vertige et provoque chez lui une peur bien compréhensible : non, il n’en est pas capable, c’est trop, beaucoup trop pour lui.Nous pourrions facilement être d’accord avec Simon-Pierre. Pourquoi donc Jésus l’a-t-il choisi, lui qui a si peu de qualifications naturelles pour le métier de chef ? Déjà qu’il a du mal à tenir sa PME sur le Lac de Génésareth, alors, vous pensez, la Sainte Église Catholique… A priori, il est un parfait exemple de mauvais casting, une réalité que nous connaissons toujours aujourd’hui et dont chacun pourrait aisément trouver quelques exemples. Il y a quelques années, à la faveur d’une discussion avec des étudiants, j’ai découvert le Principe de Peter, décrit en 1970 par le pédagogue et sociologue canadien Laurence J. Peter dans le livre éponyme. Ce principe énonce que « dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence. » Autrement dit, dans un corps social hiérarchisé, on promeut petit à petit un employé à l’échelon supérieur, jusqu’à ce qu’il se casse la figure. C’est seulement quand il atteint sa limite de compétence que l’on s’en rend compte, mais alors il est trop tard. Et Simon-Pierre semble être une excellente (et tragique) illustration de ce principe : Jésus lui a confié une première mission – pêcher des poissons – et en étant bien accompagné, il y arrive ; puis, une deuxième mission – prendre des hommes vivants dans les filets de la foi – et il fait ce qu’il peut ; enfin, il lui confie une troisième mission – bâtir l’Église sur cette pierre qu’il est – et là, c’est la catastrophe : le soir de l’arrestation de Jésus, Pierre montre qu’il n’avait pas les épaules assez large, qu’il n’était pas à la hauteur. Trop tard, hélas !Pourtant, le Principe de Peter, sur lequel on a ensuite écrit maints articles, livres et thèses de doctorat, a été un peu trop pris au sérieux. Son auteur voulait pointer les dérives du monde de l’entreprise en parodiant le ton sentencieux des sociologues de son temps. Il n’anticipait pas le succès de son livre, lu au premier degré. Il y a donc du vrai dans le Principe de Peter, mais aussi de l’exagération. Au Principe de Peter, il serait peut-être bon d’opposer le Principe de Pierre, dont Jésus nous donne quelques axes dans cet évangile. Pourquoi Simon-Pierre a t-il été appelé par le Christ ? La première réponse, évidente et banale, parce qu’il était là. Jésus l’a choisi parce qu’il était assis sur le rivage, occupé à laver ses filets à côté de sa barque, dont Jésus avait justement besoin, comme d’une estrade d’où il pourrait parler à la foule. Et c’est à cause de ce détail qu’ils se sont rencontrés. La première qualité de Simon-Pierre est d’avoir été le prochain de Jésus, l’homme qui s’est trouvé sur son chemin.La deuxième qualité de Pierre, c’est son abandon. Il a une étonnante capacité à se laisser faire. Il est fatigué et frustré d’une longue nuit de pêche infructueuse, et après avoir lavé ses filets, il peut légitimement aspirer à quelque repos ; pourtant, il accepte de prendre un inconnu à son bord. Il est patron pêcheur, il connaît son métier, et pourtant, il accepte que l’inconnu – un charpentier, en plus ! – lui dise où et comment pêcher. Enfin, il est conscient de ses faiblesses, de ses incohérences, de ses infidélités, et pourtant il accepte la mission que Jésus, alors, lui confie. Il est étonnant de naturel, d’abord dans la peur puis dans la confiance. Le Principe de Pierre, nous pourrions donc l’énoncer ainsi : « dans une mission donnée par le Christ, tout envoyé doit se laisser faire pour s’élever à son niveau de compétence. » Ce que saint Paul exprime en d’autres mots, dans la deuxième lecture : « à vrai dire, ce n’est pas moi, c’est la grâce de Dieu avec moi. » Le Principe de Pierre et Paul, c’est celui de la collaboration à la grâce : ni tout faire tout seul, ni laisser Dieu se débrouiller, mais collaborer à la force que Dieu donne à ceux qui, humblement, se laissent faire par sa miséricorde.Pierre et Paul ont mis au service de l’Église du Christ leurs deux profils radicalement différents, et leurs expériences commune de la grâce de Dieu qui pardonne et rend capable. Je serai tenté d’en voir une illustration dans l’image des deux barques qui se rejoignent pour contenir ensemble tout le poisson de la pêche miraculeuse. La seule barque de Simon ne suffit pas, et, seule, elle coulerait : il lui faudrait un plus grand bateau (“We’re gonna need a bigger boat!” comme dit un personnage des Dents de la Mer). De conversion en conversion, Pierre et Paul un jour rejoindront leurs deux barques, leurs deux visions de l’Église – le filet de Pierre, avec les Chrétiens venus du judaïsme, et le filet de Paul, avec les Chrétiens venus de la gentilité – pour composer la plénitude de l’embarcation du Seigneur, si grande, que nul dedans n’y est de trop. Chers frères et sœurs, tout cela – l’immense aventure de l’Église, les chutes et les relèvements, les crises et le patient travail de la grâce – tout cela est apparu à Simon dans cet instant d’éternité où il a commencé, sans le savoir encore, à être Pierre. Il a du repenser souvent à cet instant, longtemps après, une fois devenu pour de bon le Prince – le Principe ! – des apôtres du Seigneur. Qu’il nous rassemble tous dans sa vaste barque ! Amen.

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