Dimanche 11 décembre 2022-Troisième Dimanche de l’Avent – Gaudete

Chers frères et sœurs,

Quelle était la taille de saint Jean-Baptiste ? Si l’évangile nous parle de son vêtement de poil de chameau et de son régime alimentaire à base de miel et de sauterelles, il ne nous dit rien de ses mensurations ; il est donc légitime de supposer que Jean-Baptiste était d’une taille standard. Or il existe deux espèces de tailles : il y a la taille que l’on a, et la taille que l’on prend. Il y a la taille physique que la nature nous donne, et qui se mesure en centimètres ; et il y a la taille que nous prenons dans la vie, par ce que nous faisons de nos talents, par nos actions, par nos relations, par notre influence, par notre rayonnement. Ainsi, Michel Petrucciani, qui souffrait de la maladie des os de verre, avait une très petite taille – il mesurait moins d’un mètre – mais il avait pris une grande stature par l’exercice de son art, la musique de jazz. Autre est la taille que l’on a, autre la taille que l’on prend.

Si la taille qu’avait Jean-Baptiste est sans doute banale, la taille qu’il a prise dans la vie connaît une variation brutale. Il était un géant, le voici devenu nain. Il était, dans l’évangile de dimanche dernier, le formidable prédicateur de la justice de Dieu qui arrive, et de la conversion nécessaire : « tout Jérusalem, la Judée et la région du Jourdain », comme un seul homme, se pressait pour l’entendre et pour recevoir son baptême.et voilà que ce dimanche, la gloire a fait place à la déchéance. Jean-Baptiste a déplu au roi Hérode, qui l’a fait jeter en prison ; symboliquement, Hérode s’apprête à lui faire couper la tête, le raccourcir, en sorte qu’il sera définitivement tout petit. Et dans le cœur de saint Jean-Baptiste, quelque chose se rétrécit aussi. Tout ne s’est pas passé comme prévu. Dieu devait venir tout remettre en ordre, rétablir la justice, consoler les opprimés, punir les méchants. Où est-il ? Personne n’est là pour empêcher que la hache tombe sur le cou de Jean-Baptiste. Et Jésus, alors, que fait-il ? S’il est bel et bien le Messie, qu’est-ce qu’il attend ?

Jésus pourrait agir. Il pourrait monter une opération sauvetage de son cousin emprisonné : ce serait spectaculaire. Du moins, il pourrait répondre clairement aux envoyés de Jean-Baptiste : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » La question est simple et appelle une réponse simple : il suffit de dire « oui » ou « non », tout le reste est superflu. Or Jésus n’agit pas, et ne dit ni oui, ni non. La réponse, dit-il aux disciples de son cousin, c’est à vous de la composer : écoutez, regardez, et racontez tout cela à Jean-Baptiste. Aucune réponse théorique ne peut remplacer votre témoignage ! D’un bout à l’autre de l’évangile, c’est la manière de fonctionner de Dieu. Depuis les bergers de la crèche jusqu’aux saintes femmes le matin de Pâques, la Bonne Nouvelle est toujours annoncée aux pauvres par la bouche des témoins, puis des témoins des témoins, puis des témoins des témoins des témoins… et chacun, là où il se trouve, est irremplaçable.

Si Jésus tient ce discours, c’est parce qu’il sait que ce témoignage provoquera la consolation et la joie de Jean-Baptiste. Car celui-ci sait bien ce que c’est qu’être un témoin, le maillon d’une longue chaîne, dans laquelle chacun est plus avancé que tous ceux qui sont venus avant, et moins avancé que tous ceux qui arrivent ensuite. D’où sa remarque : « Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui. » A la charnière entre l’Ancien Testament et le Nouveau, entre le temps de l’attente et le temps de la réalisation, Jean-Baptiste a donc été le maillon central de cette longue chaîne de la patience d’Israël. Arrivé le dernier à la fin de l’Ancien Testament, il a résumé en lui tous les prophètes ; arrivé le premier à la porte du Nouveau Testament, il a entrevu le Messie, sans encore tout comprendre, mais juste assez pour se réjouir. Il a fait son travail ; il peut se retirer, passer le témoin.

J’en reviens à mon histoire des deux tailles : celle que l’on a, celle que l’on prend. Au XIIème siècle vivait un illustre philosophe et théologien nommé Bernard de Chartres. Pour expliquer que la vie en Dieu était une transmission, une tradition en perpétuelle croissance, il avait trouvé une formule devenue célèbre : « Nous sommes comme des nains juchés sur des épaules de géants, de telle sorte que nous puissions voir plus de choses et plus loin que ces derniers. Et cela, non point parce que notre vue serait meilleure ou notre taille avantageuse, mais parce que nous sommes portés et surélevés par leur haute stature. »

Chers frères et sœurs, ce troisième dimanche de l’avent est celui de la joie. Il y a une joie toute particulière à recevoir un témoignage et à le transmettre à son tour, non seulement en répétant ce que l’on a entendu, mais en y ajoutant les merveilles dont on a soi-même été le témoin. Aujourd’hui, dans la longue chaîne de la foi, c’est nous qui sommes irremplaçables, non pas en raison de notre génie, mais en raison de notre situation spirituelle : nains placés sur les épaules des géants, nous les réhaussons à notre tour de quelques centimètres spirituels, en attendant qu’un jour d’autres viennent s’asseoir sur nos propres épaules. « Ainsi le Corps se construit dans l’amour. » Quelle joie !

Amen.

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