Dimanche 11 septembre 2022 – Vingt-Quatrième Dimanche du Temps Ordinaire

Chers frères et sœurs,

A moins de vivre dans une grotte, vous n’avez pas pu manquer l’information principale de cette semaine : la mort, à 96 ans, de la reine d’Angleterre Elisabeth II. Dans les hommages qui lui ont été rendus ces derniers jours, l’image qui revient le plus souvent à son sujet est celle d’un roc dans la tempête. Dans cette Grande-Bretagne multiculturelle et fragmentée, dans l’Église Anglicane dont la communion se disloque, dans l’Europe des démocraties en crise, dans le monde de l’obsolescence programmée, Elisabeth II était un signe incroyable de longévité, de stabilité et de paix, l’incarnation de la continuité des institutions et de la permanence de la nation. Et son départ est symboliquement d’autant plus frappant.

Vous me permettrez donc, ce dimanche, une homélie quelque peu British. Jésus raconte une longue parabole sur la miséricorde de Dieu, qui s’étend sur tout le chapitre 15 de l’évangile selon saint Luc, et qui se compose de trois histoires parallèles. Les points communs entre ces trois récits de perte et de retrouvailles nous sautent aux yeux ; aussi, examinons plutôt une différence qui me semble remarquable. Dans le cas de la brebis perdue et de la pièce d’argent égarée, le berger et la femme ont spontanément la même attitude : ils remuent ciel et terre. Le berger laisse son troupeau au bercail et se lance dans la montagne, à travers les ronces et les rochers, et il ne s’arrête que lorsque la brebis est sur ses épaules. La femme retourne toute sa maison, déplace les meubles, soulève la poussière, cherche partout, et elle ne s’arrête que lorsque la pièce est dans sa main. Or, l’attitude du père du fils prodigue est bien différente. On pourrait le croire indifférent à ce qu’il se passe. Il se laisse prendre son argent sans résister. Il laisse partir son fils sans le retenir. Il le perd sans courir derrière lui, sans sortir pour aller le chercher, sans remuer les cabarets et les fermes à cochon pour récupérer son enfant. Il l’attend à la maison. Étrange, et même choquant. De quel Dieu passif et ramolli ce père est-il donc l’image ?

A cette question problématique, j’ai trouvé une réponse dans la lecture d’un écrivain anglais, G.K. Chesterton. Dans une nouvelle, il raconte comment un prêtre catholique, le Père Brown, tombe un jour sur un voleur qui vient de dérober l’argenterie d’un club très chic de gentlemen londoniens. Le Père Brown manque de se faire étrangler, mais sa douceur étonne le brigand qui finit par se confesser à lui, puis reçoit le pardon et s’en va, laissant l’argenterie. Lorsque le directeur du club interroge le Père Brown, il lui demande : « Avez-vous attrapé le voleur ? » Et celui-ci répond : « Oui… Je l’ai attrapé, avec un hameçon secret et un fil invisible, qui est assez long pour le laisser errer jusqu’aux bouts du monde, et cependant le ramener, d’un geste du poignet ! » Un fil de pêche que nul ne voit mais qui relie le poisson au poignet expert du pêcheur, voilà, je crois, une des plus belles images de la confession, ce lien incassable que la miséricorde tisse entre Dieu et nous, ce lien qui permet un jour la conversion et le retour à la vie. Ce n’est pas pour rien que saint Jean-Marie Vianney appelait certains de ses pénitents, ceux qui avaient le plus besoin de la confession et du pardon de Dieu, des « gros poissons » !

Dans un autre roman anglais, Retour à Brideshead, l’écrivain Evelyn Waugh cite la nouvelle de Chesterton. Cette fois, l’histoire ressemble beaucoup à celle du fils prodigue. Dans une famille catholique de l’aristocratie anglaise, la fille aînée, Julia, mène sa vie avec rigueur, tandis que le fils cadet, Sebastian, est habité par un profond mal-être qui le mène à tous les excès. Finalement, il part pour le Maroc, et vient un moment où personne ne sait où il est passé. S’est-il perdu ? Est-il perdu ? Tandis que tout le monde s’inquiète, sa plus jeune sœur, Cordelia, garde une confiance inébranlable : un jour, il reviendra. C’est, dit-elle, le mystère de la grâce : Dieu, par amour, nous laisse libre, y compris de nous égarer et de nous abîmer, car il nous a donné sa propre vie au jour de notre baptême. Il est fidèle, même quand nous n’en avons plus du tout conscience. Et Cordelia cite les mots du Père Brown : « Je l’ai attrapé, avec un hameçon secret et un fil invisible, qui est assez long pour le laisser errer jusqu’aux bouts du monde, et cependant le ramener, d’un geste du poignet… » Si loin que nous allions, l’amour de Dieu nous y accompagne, et nous le comprendrons un jour, quand nous serons chez lui, à la maison.

Chers frères et sœurs, travers ces deux histoires so British, c’est un enseignement universel qui nous est donné, sur le mystère de la miséricorde et de la grâce. Dieu est ce pêcheur à la ligne, solidement assis sur son rocher, le baptême est son hameçon, la grâce, son fil invisible. A chaque confession, il donne un coup de moulinet pour nous rapprocher de sa main. L’océan a beau être immense, la tempête a beau faire rage, nous sommes toujours plus proches de lui que nous ne pouvons l’imaginer. Nous croyons qu’il ne nous cherche pas, mais c’est parce qu’il nous tient déjà. Par amour pour nous, comme le dit saint Paul, il « montre toute sa patience. » Il est notre roc et notre paix. Que ce long fil, invisible et invincible, nous conduise sur le chemin d’éternité !

Amen.

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