Dimanche 15 mars-Troisième Dimanche du Carême

Chers frères et sœurs,

« Ici Londres ! Les Français parlent aux Français ! Veuillez écouter d’abord quelques messages personnels… »

Permettez-moi de commencer l’homélie un peu particulière d’un dimanche un peu particulier à la manière d’un message de la B.B.C., en pleine Seconde Guerre Mondiale : d’un côté, il y a vous, chers paroissiens, rassemblés, confinés dans vos maisons alors que l’épidémie de coronavirus vient de passer au stade 3 ; de l’autre côté, il y a nous, vos prêtres et votre séminariste, qui célébrons ce matin cette messe du troisième dimanche du temps du Carême dans l’intimité d’une petite chapelle. Cette situation, nous ne l’avons pas voulue, nous la subissons douloureusement, nous sommes bien malgré nous mis à distance les uns des autres, comme il y a trois quarts de siècle la Manche séparait les Français, ceux de l’intérieur et ceux de Londres. Comme le speaker de la B.B.C. le soir du 5 juin 1944, je voudrais vous dire que « les sanglots longs des violons de l’automne / bercent mon cœur d’une langueur monotone », et ainsi vous annoncer que la Libération est là. Mais ce n’est pas encore pour tout de suite !

Cette épreuve a une résonance particulière alors que nous progressons dans le carême. Nous pensions traverser le désert comme une promenade de santé ? Eh bien, en réalité, nous y pénétrons plus profondément. Au-delà du désert de carte postale, avec ses chameaux et ses palmiers, nous découvrons que dans le désert, nous manquons de l’essentiel. Nous découvrons ce qu’est véritablement la soif, la vraie soif. Au désert, les Hébreux découvrent ce que c’est que de n’avoir pas de source ou de puit à portée de main. Nous, nous découvrons ce matin ce que c’est que de n’avoir pas d’autel ou de tabernacle à portée de main, ce que c’est que la soif eucharistique.

Ce n’est jamais agréable d’avoir soif, et c’est cruel, quand on a une gourde à la main, de ne pas abreuver celui qui meurt de soif devant nous. Mais je crois aussi qu’il est bon d’expérimenter parfois ce qu’est réellement la soif, le manque, la pauvreté, faute de quoi nous resterons toujours à une distance confortable du Christ, faute de quoi nous ne comprendrons jamais sa demande souriante à la Samaritaine, « Donne-moi à boire », ni son cri d’agonie sur la croix, « J’ai soif ! » Sans notre expérience personnelle de la vraie soif, le Christ restera pour nous un éternel étranger.

Si souvent, nous sommes les uns pour les autres des étrangers. Lorsque commence l’évangile, tout nous indique que cette rencontre improbable est celle de deux étrangers absolus. Ils sont membres de deux peuples voisins qui se détestent et qui ont chacun son culte, l’un sur le Mont Garizim, l’autre au Temple de Jérusalem. Lui, c’est un homme, un Rabbi, un maître respectable. Elle, c’est une femme à la vie dissolue, une infréquentable, une « fille perdue » comme dit Pagnol dans La Fille du Puisatier (comme par hasard, justement une histoire de puit !). Jamais ces deux-là ne se seraient rencontrés dans un lieu normal. Il n’y a que le désert, à midi, l’heure la plus chaude du jour, l’heure à laquelle tout le monde reste à l’ombre chez soi, qui peut leur donner de se rencontrer. « Deux étrangers au bout du monde, si différents », comme dirait la chanson.

Quand deux étrangers se rencontrent, de quoi peuvent-ils bien parler ? Quand on n’a rien en commun, de quoi peut-on parler ? Peut-être de l’essentiel. Le fait est que, dans ce dialogue, on ne trouve pas la moindre futilité. Chaque fois que Jésus parle, il touche cette femme au cœur, il rejoint ce qu’il y a en elle de plus intime : ce dont elle a vraiment soif, qui elle est vraiment, comment prier Dieu pour de bon… Ces deux étrangers, en quelques phrases, se disent des choses plus fondamentales que certains copains ne le font parfois en plusieurs années. Au point que, quand cette femme parlera de Jésus aux villageois, elle ne l’appellera pas par son nom, mais elle le désignera comme « un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait » – et de tous les titres de Jésus, c’est peut-être un des plus beaux. Ils n’ont alors absolument plus rien d’étranger l’un vis-à-vis de l’autre.

Avez-vous remarqué ? Cette femme qui ne parvenait pas à vivre une relation d’amour stable avec un homme en était à son sixième compagnon. Vous imaginez quelle réputation elle pouvait avoir dans son village. Or voici que Jésus, si je puis dire, d’étranger qu’il était, devient le septième homme de sa vie. Il ne devient ni son mari ni son compagnon, mais celui qui vient accomplir dans son existence tout ce qui était bancal, inachevé, blessé. Selon la symbolique biblique des chiffres dans laquelle le chiffre sept est celui de la plénitude, Jésus vient lui « dire tout ce qu’elle a fait », il vient ouvrir un chemin nouveau à son désir insatiable de bonheur, il vient dans sa vie perdue faire toutes choses nouvelles.

Voilà, chers frères et sœurs, ce qu’a rendu possible un petit coin de désert en plein soleil, un coin où nul ne serait venu pour le plaisir, un lieu qui manquait de tout. Jésus y a rencontré la plus improbable de ses disciples, la plus assoiffée, et la plus fervente. C’est parce qu’elle avait soif que le Seigneur a pu lui dire tout ce qu’elle avait fait, a pu lui dire qui elle était à ses yeux et qui il était pour elle. Avec elle, rien ne nous empêche de faire du coin de désert dans lequel nous sommes coincés malgré nous une oasis, un puit au bord duquel le Seigneur vient s’asseoir et nous parler au cœur. Alors, ne pleurons pas, mais rendons grâces, si ce jeûne eucharistique imprévu et pénible creuse en nous un désir plus grand et nous conduit à adorer Dieu en Esprit et en vérité. Dans la chambre retirée où nous sommes entrés le Mercredi des Cendres, là où notre Père nous voit dans le secret, laissons grandir en nous la soif de la source d’eau vive,

Amen.

                                                                            Père Martin Charcosset

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