Dimanche 16 octobre 2022-Vingt-Neuvième Dimanche du Temps Ordinaire

Chers frères et sœurs,

Je doute que dans notre assistance beaucoup de monde connaisse Henri Queuille, maire, député, sénateur, ministre et Président du Conseil, spécialement sous le Quatrième République ; à votre décharge, voilà plus de cinquante ans qu’il est mort. Comme beaucoup de gens, je ne connais de lui que quelques citations, dont celle-ci, qui est célèbre : « Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout. » Autrement dit : quand tout va mal, en pleine crise, au beau milieu de la tempête, ne faites rien, laissez pourrir, et un jour ça finira bien par se terminer. Je ne sais pas si Henri Queuille a bel et bien dit cela, mais je pense que l’aphorisme a fait florès, et qu’il peut souvent servir de mauvaise boussole : l’inaction comme fausse solution.

Le juge de l’étrange parabole que raconte Jésus aurait pu voter pour Henri Queuille, tant il semble fonctionner de cette façon. Son injustice, en effet, n’est pas d’être corrompu, ou malhonnête, ou cruel, c’est tout simplement de ne pas juger. Il sait bien le procès qui oppose cette pauvre veuve à son adversaire, et il n’ignore pas que plus la situation piétinera, plus elle empirera. Pourtant, il ne fait rien, il remet aux calendes grecques le jour de prononcer son verdict. Et il faut toute l’opiniâtreté de cette femme pour que, de guerre lasse, il se décide à juger. On ne sait même pas ce que contient sa décision : mais il se résout, simplement, à faire son métier. Celle qui a gagné dans l’histoire, ce n’est pas d’abord la veuve, mais c’est la cause de la justice.

Parfois, il faut se battre pour que les choses soient ce qu’elles doivent être. Mais Dieu, lui, est toujours ce qu’il est. Il n’est pas nécessaire de se battre contre lui, qui ne change pas, mais il est pertinent de se battre avec lui. C’est peut-être la morale de cette « contre-parabole », qui ne nous dit pas qui est Dieu, mais plutôt qui il n’est pas. Oui, il faut oser parler à temps et à contre-temps avec Dieu, mais comme à un ami que l’on ne dérange jamais, pas comme à un adversaire qu’il faut harceler.

Pour aller dans le sens de la contre-parabole, afin de définir ce qu’est la prière, il faut d’abord dire ce qu’elle n’est pas. Elle n’est pas une onde positive qu’à force de concentration on enverrait d’un cerveau à l’autre, pour diffuser du bien-être : cela, c’est la version édulcorée, New Age, de la prière comme outil de développement personnel. Or la prière n’est pas un petit plaisir personnel, elle est – osons le dire – une affaire de vie ou de mort.

Si vous ne connaissez pas Henri Queuille, peut-être connaîtrez-vous Sun Tzu, illustre stratège chinois du VIème siècle avant Jésus-Christ. Dans son célèbre traité L’Art de la Guerre, il conseille aux généraux, quand ceux-ci assiègent une ville, de toujours y laisser quelque part une brèche par laquelle les assiégés auront une chance de s’enfuir, et de ne pas les empêcher de le faire. Aux généraux sceptiques devant cette méthode qui empêche une victoire totale sur l’ennemi, Sun-Tzu fait remarquer que, si la situation de siège n’a absolument aucune issue, les assiégés sauront que c’est une affaire de vie ou de mort, ils vont sentir en eux monter l’énergie du désespoir et, n’ayant plus rien à perdre, leurs forces vont décupler – et là, ils seront réellement dangereux. Les acculer à se battre, c’est les rendre plus forts ; leur donner une chance de fuir, c’est en réalité les affaiblir.

Les textes de ce dimanche nous présentent justement ce genre de situations extrêmes, semblables à celle d’une ville assiégée sans la moindre brèche. Le petit peuple d’Israël, épuisé, démoralisé et affamé, en plein désert, affronte les amalécites, une puissante armée en campagne qui, de toute évidence, ne va faire qu’une bouchée de lui : il n’a aucune chance. La pauvre veuve de l’évangile n’a ni les relations, ni les arguments, ni l’argent qui lui permettraient de gagner son procès, de faire que son dossier ne soit pas enterré tout en bas de la pile : elle n’a aucune chance. Et c’est bien parce qu’ils n’ont aucune chance que leur prière prend tout son sens. Si Moïse baisse les bras, c’en est fini d’Israël, il le sait, et si la femme cesse de harceler le juge, c’en est fini de sa vie, elle le sait. La prière de cette femme et la prière de Moïse sont de vraies prières, parce qu’ils n’ont pas le choix.

Chers frères et sœurs, il me semble que, trop souvent, nous prions mal parce que nous ne demandons pas assez. Nous prions avec sincérité, mais en ne demandant à Dieu que des choses que nous pouvons raisonnablement espérer obtenir sans lui. Nous lui demandons juste de regarder avec gentillesse notre vie que nous menons sans faire appel à lui. Et si d’aventure nous sommes face à un vrai problème, nous n’osons pas prier, ou nous nous disons que c’est inutile, il ne pourra plus rien faire. Regardons ce juge et cette femme dans leur relation déséquilibrée : lui, il peut tout et ne veut rien ; elle, elle ne peut rien mais elle veut tout. Dieu, en revanche, peut tout et il veut tout, à condition que nous le lui demandions réellement. Ne nous contentons pas de petites prières pour de modestes demandes : ayons de l’ambition dans notre relation à Dieu ! La prière, ce n’est rien d’autre que la foi qui monte du cœur jusqu’à nos lèvres… quand le Seigneur viendra, dans quelques minutes sur l’autel ou, un jour, à la fin de l’histoire, aurons-nous de grandes, belles et bonnes choses à lui demander ?

Amen.

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