Dimanche 17 janvier-IIème Dimanche du Temps Ordinaire

Chers frères et sœurs,

Commençons par une évidence : pour appeler quelqu’un, il faut connaître son nom. Quand on commence en interpelant autrui d’un « Hep, toi, là, machin… », force est de constater que la relation ne part pas dans les meilleures conditions. Ce dimanche, les noms et leur usage occupent dans les textes que nous venons d’entendre une place spécialement importante. Ainsi, le nom de Jésus, et tous les titres et titulatures qui s’y rattachent. Ainsi, de même, le nom du jeune Samuel, et celui de son mentor, le prêtre Eli. Puis le nom de Pierre, celui de Jean-Baptiste et de ses deux disciples : André, et… et l’autre. Surprise : le nom du second disciple qui suit Jésus et va demeurer chez lui n’est pas précisé dans le texte. Une très ancienne tradition l’identifie à l’auteur lui-même, saint Jean l’évangéliste. Je n’ai pas le fin mot de l’histoire, mais cela me semble plausible. D’abord parce que cela ressemble bien à la façon de faire de Jean, à la fois acteur discret et narrateur engagé du quatrième évangile. Ensuite parce qu’un indice me semble aller dans ce sens.

Chacun des quatre évangélistes fait le récit de l’appel des premiers disciples. Or, dans son récit, écrit en Grec à la fin du premier siècle, Jean insiste d’une manière singulière sur l’Hébreu, la langue dans laquelle cet appel s’est déroulé :

  • « Ils lui répondirent : « Rabbi – ce qui veut dire : Maître »
  •  « Nous avons trouvé le Messie » – ce qui veut dire : Christ. »
  • « Tu es Simon, fils de Jean ; tu t’appelleras Képhas » – ce qui veut dire : Pierre. »

Vous savez, à la longue, ma propension aux métaphores cinématographiques. Supposons un instant qu’à la faveur de la neige et du couvre-feu à 18h, vous vouliez un soir regarder un film étranger, dans une langue qui vous est vraiment étrangère – mettons, un film hongrois ou japonais. Trois possibilités s’offrent alors à vous. La première est de regarder le film dans sa version originale : vous goûterez à la musicalité d’une langue étrangère, ce sera sans doute très beau, mais vous n’y comprendrez rien. La deuxième est de regarder le film doublé en Français : vous aurez la satisfaction de comprendre tout, mais il vous manquera l’ambiance et la poésie de la langue dans laquelle le film a été réalisé. Enfin, il y a la troisième solution, la meilleure de mon point de vue : la V.O.ST., la Version Originale Sous-Titrée. Elle vous permet à la fois d’entendre le film tel qu’il a été voulu, et de saisir le sens de ces paroles mystérieuses. Le souci du détail linguistique que manifeste saint Jean dans le récit de l’appel des disciples est, selon moi, une manière pudique mais efficace de dire qu’il était bel et bien là. Les trois termes qu’il souligne sont deux titres qui identifient Jésus (Rabbi/Maître et Messie/Christ) et un nom nouveau donné à un disciple, Képhas/Pierre. Jean témoigne qu’il a lui-même entendu le Seigneur prononcer, dans sa propre langue, ces mots que plus d’un demi-siècle après il est capable de rapporter fidèlement.

A travers ce souci de la Version Originale Sous-Titrée que Jean manifeste dans son évangile, il me semble qu’il y a une piste intéressante à suivre pour mieux comprendre la notion même d’« appel de Dieu », ou, comme on le dit dans l’Eglise, de « vocation », au cœur des textes de ce dimanche. Comme la plupart des grands principes chrétiens, l’idée de vocation repose sur un paradoxe.

D’une part, la vocation, c’est ce qui m’appartient le plus. Elle est singulière. Elle est « plus intime à moi-même que moi-même », comme dit saint Augustin dans les Confessions. Elle est le mystère de ma rencontre personnelle avec le Seigneur, et de la grâce dont il m’a comblé. A la manière d’un coup de foudre, la vocation me bouleverse de telle manière que je me rappelle parfaitement « comment ça s’est passé » : quel jour, à quelle heure, à quel endroit, ce que chacun a fait, ce que chacun a dit, mot pour mot. Et cela, moi seul le sais. Cela, c’est la « version originale » qui a besoin de redire les mots Rabbi, Messie, Képhas : celui qui a été appelé par Dieu doit faire mémoire de cette vocation qui a transformé sa vie, il doit en faire le récit pour rendre grâces d’avoir été appelé.

D’autre part, la vocation, c’est ce qui m’appartient le moins. Elle est universelle. Elle n’est pas pour moi et elle je ne la possède pas. Comme le rappelle saint Paul, « vous ne vous appartenez plus à vous-mêmes » ! La vocation est un envoi qui me déplace, un ordre auquel je ne peux me soustraire, une école de charité qui passe par la croix. L’Eglise est l’instance que le Seigneur lui-même a instituée, la chargeant de vérifier le sérieux de l’appel que je pense avoir reçu, de l’attester et de le transcrire dans une mission donnée et cadrée ; et si l’Eglise ne m’envoie pas toujours où je veux, c’est plutôt bon signe. Cela, c’est le « sous-titrage » qui a besoin de traduire la version originale par les mots Maître, Christ et Pierre, que chacun peut saisir. C’est le rôle indispensable du prêtre Eli qui n’a pas entendu lui-même l’appel de Samuel, mais qui l’authentifie, puis qui aide Samuel à y répondre librement, avec humilité et confiance.

Chers frères et sœurs, l’Eglise, en grec Ekklesia, c’est, littéralement, l’assemblée de ceux qui y ont été appelés, convoqués. Nous ne sommes pas choisis, et c’est tant mieux, car nous ne l’aurions pas aussi bien réussi tout seuls ! En ce dimanche par lequel commence la Semaine de prière pour l’Unité des Chrétiens, vivons notre vocation en version originale sous-titrée : un secret personnel qui est une mission universelle. Nous qui avons trouvé le Messie, glorifions-le dans le Corps de l’Eglise !

Amen.

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