Chers frères et sœurs,
Il y a bien longtemps, lorsque j’étais étudiant en histoire, j’avais pris l’habitude de passer chaque été une ou deux semaines dans le charmant petit village de Saint-Guilhem-le Désert, dans les gorges de l’Hérault, à l’abbaye de Gellone, fondée sous Charlemagne. En échange du gîte et du couvert, je faisais visiter aux estivants l’église abbatiale et les restes du cloître. J’avais noté que les touristes appréciaient qu’on leur explique la symbolique de ces lieux, mais que, presque chaque fois que je mentionnais le nom de la « Vierge Marie », il se trouvait l’un ou l’autre pour sourire à son voisin d’un air entendu, voire pour ricaner, l’air de dire : Comment, au vingtième siècle (c’était il y a plus de vingt ans), il y a encore des imbéciles heureux pour croire à cette vieille fable de Marie qui devient mère sans cesser d’être vierge ? Vingt ans et quelques années plus tard, je vous le demande, chers frères : êtes-vous, comme moi, des imbéciles heureux ?
Eh bien, je vous le souhaite. Car les trois premiers dimanches de l’Avent n’ont aucun sens sans le quatrième. De même que l’Ancien Testament n’a aucun sens s’il n’aboutit au Nouveau. De même qu’une promesse n’a aucun sens si elle n’est pas tenue. Les trois premiers dimanches de l’Avent étaient chacun construit autour d’une attitude spirituelle qui nous était demandée : il s’agissait de veiller, le premier dimanche ; de nous convertir, le deuxième ; de nous réjouir, le troisième. Mais ce dimanche, le regard ne se pose plus sur ce que nous avons à faire : ce dimanche, ce que nous célébrons, c’est l’initiative de Dieu.
Quand on ne laisse pas à Dieu l’initiative, il la prend. C’est ce qu’apprend, dans la première lecture, le roi David : après avoir tant bataillé et travaillé, il a décidé, sur ses vieux jours, de goûter au confort moderne. Il s’est fait construire un grand palais au cœur de Jérusalem, avec de belles poutres de cèdre, une vraie maison d’architecte. Soudain, en voyant la tente où se trouve l’Arche d’Alliance, il a honte. Il a manqué à ses devoirs. Dieu devrait être logé au moins aussi bien que le roi ! Mais contre toute attente, Dieu refuse précisément de déménager dans un palais à la mode. D’abord parce qu’il n’a rien contre le provisoire qui dure : il préfère le camping à l’embourgeoisement. Et ensuite, dit-il, parce que c’est lui qui décidera quand et comment il construira une maison : il en sera à la fois l’architecte, le maître d’œuvre et le décorateur. Dans le long message que Dieu délivre à Nathan pour qu’il le répète à David, Dieu fait le récit de sa fidélité : je t’ai appelé, je t’ai soutenu, je t’ai délivré… quand je fais une promesse, je la tiens, tu devrais le savoir !
Avoir de l’initiative et tenir ses promesses : voilà les deux qualités principales de Dieu. Autrement dit, Dieu n’est pas le grand horloger dépeint par Voltaire : un créateur qui se serait éloigné de sa création sous prétexte de ne pas la déranger. Au contraire, Dieu habite sa Création comme sa propre maison et il y intervient sans cesse. Alors, revenons à la conception virginale, sur laquelle saint Luc insiste lourdement, et que l’Eglise n’a jamais cessé d’affirmer. Nous raisonnons par opposition : on est soit vierge, soit mère ; soit Dieu, soit homme. Dieu, lui, raisonne par communion : Marie est vierge ET mère, afin que Jésus soit Dieu ET homme, sans contradiction de l’un avec l’autre, sans mélange, sans confusion.
La conception virginale de Jésus par Marie est indissociable de l’action de l’Esprit Saint. Dans le Nouveau Testament, la première et la dernière apparition de Marie sont l’Annonciation et la Pentecôte. Dans la première, Marie reçoit sur elle « l’Esprit Saint, (…) et la puissance du Très-Haut [la prend] sous son ombre. » Dans la dernière, Marie est avec les apôtres dans la Chambre Haute, et avec eux elle reçoit la flamme de l’Esprit Saint. D’un bout à l’autre de sa vie, Marie nous montre ce qu’est une vie parfaitement unie à l’Esprit de Dieu qui est force de vie. Si Dieu, c’est l’initiative, Marie, c’est la disponibilité.
Cet après-midi, à la Primatiale Saint Jean-Baptiste, notre diocèse de Lyon reçoit en la personne de Mgr Olivier de Germay le pasteur qu’il a longtemps attendu, après neuf mois de vacance du siège. Neuf mois, le temps d’une grossesse, le temps qu’il faut pour qu’un renouvellement aboutisse. Il a fallu, là aussi, se mettre au diapason de Dieu pour l’attendre et pour le recevoir. Nous rendons grâce à Dieu pour sa prévenance envers nous, nous rendons grâce pour la disponibilité de celui que, dans quelques heures, nous pourrons, enfin, appeler « notre évêque Olivier ».
Après avoir veillé, après avoir désiré, après nous être réjouit, il nous reste à accueillir Celui qui ne vient pas de nous, mais qui vient pour nous. « L’Esprit et l’Épouse disent : « Viens ! » Que vienne ta grâce, que ce monde passe : et tu seras tout en tous. »
Amen.